De ce nouveau quatuor établi à Brighton, on dira que s’il ne réinvente pas la poudre, il la manie avec suffisamment de savoir-faire, de fraîcheur et d’énergie pour qu’on passe en sa compagnie un excellent moment. Jetstream Pony réunit, depuis quelques années maintenant, un (très) ancien du Wedding Present, Shaun Sharman (compositeur en chef ici), Beth Arzy (chanteuse d’expérience qu’on a pu croiser notamment chez Aberdeen ou Trembling Blue Stars), Kerry Boettcher et Hannes Mueller, deux musiciens allemands dont on n’avait jamais entendu parler avant. On se contentera (pour le plaisir de l’anecdote) de raconter que Sharman faisait partie des fondateurs avec David Gedge du Wedding Present qu’il quitta (si nos souvenirs sont bons) juste avant l’enregistrement de l’album George Best, en 1987, parce qu’il n’acceptait pas que David Gedge devienne le leader omnipotent du groupe (chose qui ne faisait pas partie du contrat initial) et que ce dernier avait entrepris (en vain semble-t-il) de lui piquer sa copine de l’époque. De l’eau est passée sous les ponts depuis et les deux hommes sont de nouveau en bons termes… sans que le passé s’efface tout à fait.
Jetstream Pony propose avec ce premier album une potion qui n’a pas grand chose à voir avec le Wedding, si l’on excepte une propension remarquable à aller droit au but et à jouer de la guitare avec vivacité. Pour dire la chose, on pense immanquablement, et c’est une excellente chose, à Lush en écoutant ces onze morceaux. La guitare est mélodique, la batterie d’une régularité sans faille, la basse bien à sa place et la voix flotte gentiment (et sensuellement) au dessus de l’ensemble dans un rendu dream pop/shoegaze qui sent bon les années 90. Le premier morceau, It’s Fine, est assez représentatif de l’ensemble : allègre et lumineux, sans doute pas décisif ni mémorable, mais sacrément bien fichu et efficace. Le contrepoint vocal (masculin) est sublime et permet à l’oreille de surfer avec délectation sur les variations proposées par l’instrumentation.
« Tu vas me manquer quand je serai partie« , chante Beth Arzy (en anglais, bien sûr), sur l’entame du I Close My Eyes qui suit et cela nous rend très très triste. La musique de Jetstream Pony évolue ainsi dans ce registre de la nostalgie et de l’amour qui désenchante et enchante à la fois comme un souffle adolescent. La pièce émarge juste sous les deux minutes et trente secondes et n’est pas loin d’être le morceau le plus abouti et volatile. Le groupe propose une pop ailée pure et très ligne claire, mâtinée de sursauts jangly, donnés à la guitare. C’est à la fois très classique, attendu mais magique à ce niveau de maîtrise des fondamentaux. La puissance n’est pas absente de certains morceaux (Mitte ou Tramped in Amber), signe que le groupe n’a pas un registre aussi restreint qu’on pourrait le penser. Il y a, comme chez Lush donc, l’impression tenace (au bout du bout) que nombre de chansons se ressemblent mais c’est évidemment une réalité trompeuse. Il faut juste se donner le mal d’écouter et d’apprécier les nuances. On passe ici de la pop anglaise délicate et à fleuret moucheté façon twee pop à de l’indie rock plus vigoureux qui renvoie à une veine plus américaine inspirée de Belly et autres Throwing Muses (le musclé Gone To Ground). La seconde moitié du disque est d’ailleurs marquée par cette influence, peut-être plus mainstream et FM, et perd en sophistication, ce qu’elle gagne en efficacité et en évidence.
The Very Eyes of Night est un tube en puissance, ramassé et inspiré, et Outside une petite merveille de composition pétillante. Les sentiments sont hissés très hauts ici, les textes gentiment abstraits et romantiques. C’est assez étonnant pour un groupe où tous les membres semblent avoir dépassé la quarantaine (voire plus) mais il y a une fraîcheur et une forme de naïveté dans l’exécution qu’on avait pas recroisées depuis l’album des Catenary Wires, l’an dernier. Difficile de faire plus cool que le final, Spoke Too Soon, qui par sa progression et son superbe riff de guitares est vite devenu notre morceau préféré.
Avec Jetstream Pony, on rajeunit d’au moins 25 ans. Ce n’est peut-être pas un service à nous rendre mais la sensation est enivrante et pas si fréquente. On ne va pas cracher dessus.
Hello! Un petit commentaire pour dire que Jetstream Pony joueront à Paris fin septembre dans le cadre du Paris Popfest. Avec aussi et entre autres Lawrence (Felt, Go Kart Mozart), Secret Shine, Pale Lights ou Helen Love.