Ces vacances dans les Highlands se sont merveilleusement bien déroulées et, filant plein sud reprendre un bateau pour le continent, alors que vous traversez la Clyde sur le Kingston Bridge de la M8 au cœur de Glasgow, vous prend l’envie d’une dernière fois, savourer un de ces moments savoureux qu’offrent la plupart des pubs écossais. Le Old Toll Bar, premier venu sur Admiral Street fera l’affaire. Attablés derrière vous, cinq types dans la force de l’âge, en plein afterwork, refont le monde en s’enfilant quelques pintes ; ils fêtent de toute évidence quelque chose et vous tendant un smartphone, l’un d’entre eux vous demande poliment de bien vouloir immortaliser l’événement. Vous ne le savez pas mais cette photo souvenir à la lueur des chandelles est celle qui trônera à l’intérieur de Dreaming Kind, le nouvel album de The Orchids qui sort chez Skep Wax. Voilà The Orchids, fidèles à eux-mêmes, à ce qu’ils ont toujours été, un groupe mature avant l’heure qui détonnait déjà parmi la bande de poppeux habitués du label et de son aïeul Sha La La quand à la fin des années 80 Sarah records sortait pour sa 2ème référence leur premier single, I’ve Got A Habit. Voilà The Orchids, un de ces groupes monsieur-tout-le-monde qui ne s’embarrasse guère de fioritures rock (look, mise en image, réseaux sociaux, artwork) mais traine derrière lui une sacrée réputation de « meilleur groupe écossais depuis Orange Juice ». Il faut admettre que si la concurrence est on ne peut plus rude, l’excellence et la vigueur de la scène post-rock-pop-noisy-soul de la troisième plus grande ville du Royaume Uni n’étant plus à démontrer depuis belle lurette, l’assertion prise niche par niche prend son sens si on l’entend comme « meilleur groupe écossais mêlant avec une classe folle et un sens inné de la mélodie l’héritage de la northern soul et de la pop sixties menée par une voix absolument chaleureuse depuis Orange Juice ».
Voilà près de 35 ans que James Hackett, John Scally et Chris Quinn, derniers des membres fondateurs du groupe, nous ravissent de compositions dont la simplicité rivalise avec l’aisance mélodique. Une certaine idée de l’élégance pop qu’ils n’ont jamais vraiment reniée sur l’autel de la modernité même si le producteur Ian Carmichael, véritable 6ème membre officieux depuis des années a, dans son histoire avec le groupe, toujours cherché à lui donner une teinte électro, en général plutôt subtile (sur ce nouveau disque en particulier) mais parfois aussi carrément dansante, avec plus ou moins de réussite. Plutôt moins d’ailleurs sur l’avant-dernier album, Beatitude #9 sorti en 2014 et dont les quelques plus beaux arbres (le superbe single Hey ! Sometimes) ne parvenaient pas à cacher une forêt un peu défraichie qu’il fallait dissimuler sous des tonnes d’effets et d’atours disco dance au goût parfois douteux. Bien qu’en partie enregistré sous le soleil des Baléares et de la Catalogne, en bons britanniques cinquantenaires qui se respectent, Dreaming Kind revient d’emblée à plus de simplicité et délaisse les ambiances faussement clubs pour la chaleur humaine des pubs locaux. Ouf, serait-on tenté de dire car en revenant sur ses bases, le groupe retrouve aussi de sa superbe.
C’est que si la comparaison avec un groupe majeur et mondialement populaire comme Orange Juice peut prêter à sourire, elle rappelle aussi que la valeur n’est pas forcément corrélée à la taille du contrat et au nombre de disques vendus d’autant que dans le nuancier underground, The Orchids fait partie de ces groupes qui n’ont jamais été très loin de sortir de l’ombre et qu’il ne faut sans doute pas chercher plus loin que dans l’absence d’ambition, de volonté de faire carrière pour trouver les raisons de cette discrétion artistique. Il faut alors accepter The Orchids tels qu’ils sont, un groupe ultra-talentueux mais qui restera à jamais une idole pour oreilles curieuses et averties. Si Dreaming King plait autant, c’est aussi parce qu’ils ont pris le temps de le construire. Repartis de plus belle en 2007 après une pause de 13 ans, l’enchainement de 3 albums en 7 ans jusqu’au bien triste Beatitude #9 montrait aussi que le groupe avait besoin de plus temps pour se retrouver et les 8 années passées depuis le dernier effort ont été pour le moins bienfaitrices. Ici, chaque titre se tient par une belle cohérence ; remisée au placard les fautes de goût un peu vulgaires, abandonnées les grosses ficelles électroniques qui pouvaient avoir un certain charme dans une pop post-madchester au cœur des années 1990 mais beaucoup moins en 2014.
L’œuvre, conduite par le presque impeccable single This Boy Is A Mess, construite entre hymnes pop entrainants du même acabit et ballades mélancoliques rappelle, forcément, les ambiances feutrées des pubs aux moquettes épaisses, rouge carmin. La batterie de Chris Quinn n’a peut-être jamais été aussi souple et capitonnée ; elle accompagne dans une harmonie rythmique parfaite le jeu de basse tout en rondeurs de Ronnie Borland. Les guitares, chacune à leur place, un peu à l’ancienne (la rythmique, l’acoustique, la lead), tressent les chaudes tentures qui habillent les 13 titres de ce disque et composent l’écrin idoine à la voix de velours de James Hackett qui elle n’a pas pris une ride depuis toutes ces années, secondée comme souvent par la discrète et talentueuse Pauline Hynds. Le groupe avance donc exclusivement en terrain connu et n’use d’artifices qu’avec une saine parcimonie. Un subtil melodica vient agrémenter Didn’t We Love You ? qui ouvre de la plus efficace des manières le disque, une délicate harpe habille discrètement What Have I Got To Do ? tandis que de superbes cordes accompagnent la douce et aérienne Isn’t It Easy. Plus loin, le très réussi I Don’t Mean To Stare nous propose quelques déhanchés dignes de la période Striving For The Lazy Perfection sur lequel une trompette noctambule accentue un peu la livrée groovy du morceau. Plus surprenant, mais pas moins intéressant, les premières notes de I Want You, I Need You nous renvoient l’espace d’un instant, le temps d’un motif répété à chaque couplet, à la bravoure d’un Simple Minds avant de glisser en douceur vers l’un des plus beaux refrains de l’album. Seules quelques expériences un peu bancales au vocoder viennent gâcher quelque peu les retrouvailles sur I Should Have Thought ou surtout le magnifique morceau final Limitless #2 (Hurt) qui n’avait pas vraiment besoin que l’on vienne souiller sa grâce.
Album de retrouvailles, de réconciliation peut-être même s’il n’était nullement question de fâcherie, Dreaming Kind ne dévoile strictement rien que l’on ne savait déjà de The Orchids. Pourtant, il brille d’une flamme ravivée qu’aucune évidence n’attendait tant ils sont légion les groupes qui disparaissent pour de bon, incapable d’entretenir une relation qui s’égare dans de mauvais choix. Se contenter de faire ce que l’on maitrise le mieux est au moins une option qui a le mérite d’être sécurisante, pour tout le monde. Ça tombe bien, c’est précisément celle choisie par cette bande de quinqua écossais partis en charter s’offrir une nouvelle jeunesse sous le soleil espagnol. Et vu le résultat probant, cela méritait bien de s’offrir quelques pintes de retour au Old Toll Bar.
02. Limitless #1 (Joy)
03. What Have I Got To Do?
04. This Boy Is A Mess
05. I Never Thought I Was Clever
06. Echos (Have Hope)
07. Isn’t It Easy
08. Something Missing
09. I Should Have Thought
10. I Don’t Mean To Stare
11. A Feeling I Don’t Know
12. I Want You, I Need You
13. Limitless #2 (Hurt)