Tomas Dancer / Heart Murmurs
[Monopsone]

7.5 Note de l'auteur
7.5

Tomas Dancer - Heart Murmurs

Est-ce qu’il vaut mieux placer les meilleures chansons d’un disque au début ou les distiller partout sur l’album ? On n’est pas certains que Tomas Dancer se soit posé cette question au moment d’établir la tracklist définitive de son premier album mais il se trouve que, selon notre goût (subjectif comme jamais) les meilleurs morceaux de Heart Murmurs, qui en compte treize, se situent aux avant-postes créant, autour de ce premier album, prometteur ce qu’on désigne communément comme un effet « soufflé ».

Soufflés on l’est à l’entame, éblouis par la double entrée en matière constituée de You’ll Be There et Something Wrong, deux titres réellement merveilleux et qui nous renvoient, sans emphase, aux meilleures pièces de Sarah Records, à nos souvenirs (excellents) de Felt ou aux plus belles harmonies des Flamands de Marble Sounds, qu’on tient pour ce qu’il y a de meilleur dans ce registre de la pop classique contemporaine. « So What’s the point of writing songs ? There must be something wrong. But that’s all i can do. », chante Dancer (Laurent Tomas de son vrai nom) dans ce qui est la plus belle réussite du disque. La production du très/trop rare Erik Arnaud est ici remarquable, mêlant éléments acoustiques, une rythmique millimétrée et des effets électroniques qui confèrent à l’ensemble un caractère onirique et une légèreté proches de la perfection. L’ancien chanteur du groupe Gravity Fails révèle à travers cet album solo une délicatesse et une sensibilité qui n’étaient pas aussi lisibles avant. Les morceaux se succèdent alors avec tact et maîtrise, dessinant un univers cotonneux et affectif, confortable et bienveillant, relevé de petites touches savantes et toujours bienvenues (un écho cuivré sur The Fire Inside par exemple) qui donnent aux chansons l’amplitude qu’elles n’ont pas toujours.

Car c’est évidemment une gageure dans ce registre là que de pouvoir tenir la distance. Il faut que les mélodies suivent et que le modèle se renouvelle sous peine de plonger l’auditeur dans un rêve semi-éveillé qui s’apparente à une torpeur, certes chaleureuse, mais qui tend à fondre les différents morceaux dans un long continuum dont on ne voit plus le bout. C’est un peu ce qui se produit avec Heart Murmurs au sortir du premier tiers. Les chansons deviennent plus folk que pop. Les mélodies s’adoucissent et sont moins décisives, faisant reposer la séduction sur la beauté (bien réelle) de la voix et le savoir-faire du producteur. Driving On Snow en est l’image, chanson agréable mais maintenue en coma artificiel avec des bouts de ficelle. L’émerveillement du début cède la place à une pointe de déception quand on se rend compte que le disque ne tiendra pas les immenses promesses soulevées par les premiers morceaux.

Cela ne signifie pas que Murmurs n’a rien à dire ou est un disque ennuyeux. On s’y attarde au contraire et on s’y délasse avec délectation. Tomas Dancer signe quelques chansons d’équilibriste qui font mouche et nous transportent dans un état second où les gens parlent bas et les mots ressemblent à des caresses. How Dark Is The Night est sublime. Seasons n’a rien à lui envier avec ses échos shoegaze lointains et son montage à la 4AD.  Il faut bien parler également de Je Suis Ta Chanson, morceau en français qui ressemble un peu à tous les autres sur le plan musical mais qui prend une valeur toute autre parce qu’il est justement la seule pièce chantée dans notre langue. La chanson d’une durée de 7 minutes est splendide, ample et pleine de suspense, livrant, à travers le texte, les clés d’un univers singulier fait de retenue et d’apparitions fantomatiques. « Je suis ton écho », chante Dancer dans ce qui s’apparente à une révélation. Le disque fonctionne comme un palimpseste du Moyen Age. Il y a des chansons derrière les chansons, oubliées mais lisibles encore sous l’ultraviolet, une ligne d’écho qui court sur la surface des titres qu’on entend : des mystères, des signes révélés, des fantômes amoureux et défunts, d’autres disques aimés et célébrés dans un complexe système de renvoi et d’ombres. On comprend alors d’où viennent les forces et les limites de morceaux comme Alone Again ou Lovers. Ils ont été écrits avant et puis effacés. Tomas Dancer les rejoue de mémoire comme s’il s’agissait d’en rendre compte pour l’éternité qui vient. Il y arrive souvent mais se heurte parfois au souvenir qu’on garde des plages fantômes. On file malheureusement sur la fin en pilotage automatique. Heart Murmurs est fait de traces et de signes fugaces. L’effacement et l’oubli sont ses moteurs et peut-être même ses objectifs véritables. Cela ressemble à ce qu’on a de plus précieux au fond : la jeunesse, les repas entre amis, les premiers temps d’une relation, tous ces éléments périssables et qui nous feront endurer la suite quand il n’en reste rien.

Ce premier album n’a sûrement jamais existé mais on le réécoutera dans vingt ans en se souvenant qu’il avait fait notre bonheur et appartenait à une vie meilleure que celle qui est la nôtre maintenant. La pop n’est pas autre chose que le souvenir qu’on en garde quand elle a disparu. Les chansons s’effacent comme des signes sur le sable. C’est le drame et ce qu’il y a de beau dans ce disque, le fait qu’on l’ait déjà oublié mais qu’on s’en souvienne un peu et pour toujours.

Tracklist
01. You’ll Be There
02. Something Wrong
03. The Fire Inside
04. Driving On Snow
05. How Dark Is The Night
06. Broken Strings
07. Seasons
08. Silent Hall
09. Je Suis Ta Chanson
10. Alone Again
11. Lovers
12. If Only I Could
13. Castles
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