Les gens que je connais se foutent souvent de moi quand je leur parle de mon goût pour la musique d’Umberto. « C’est de l’électro bas de gamme qui ressemble à Enigma », se moquent-ils. Ils ne comprennent pas ce que les fans de cet américain et moi entendons et voyons derrière les bandes son invisibles que Umberto compose année après année. Matt Hill aka Umberto est un mec bizarre. Il a de longs cheveux qu’il ne donne pas l’impression de laver très souvent, un visage très pâle et des yeux sombres et soulignés par un épais manque de sommeil. Umberto est plutôt jeune et a probablement moins de 30 ans. Chaque saison, il fait un tour de l’Europe avec quelques disques, son ordinateur et un ou deux petits synthés. Il voyage seul, en train, et va de club en club pour jouer sa musique de foire devant ce qu’on peut appeler des foules de dévots, soit de petites assemblées de quelques dizaines à quelques centaines de personnes (il a du succès en Italie et en Allemagne, dans les pays de l’Est aussi) qui se rassemblent sans se connaître et viennent écouter ce qu’il doit garder secret.
On n’écoute pas toujours la musique d’Umberto pour le plaisir, comme on regarderait un film d’horreur en famille. Il n’y a rien de rigolo là-dedans. Ceux qui l’aiment y voient plutôt quelque chose d’important. Techniquement, ce que fait Umberto appartient au genre du giallo, plus précisément aux BO des gialli (ces films d’horreur à la tomate italienne, souvent tournés avec assez peu de moyens) qui vont de Carpenter à la légion des films de Fulci. C’est aussi un peu ambient, voire drone. Ce n’est pas de la musique grand public, ni encore moins de la musique pour faire la fête : c’est même sérieusement gothique et tout à fait adapté si vous avez l’intention de massacrer des amis et de dissimuler leur corps de nuit en forêt. On plaisante. Alienation est peut-être bien le meilleur disque d’Umberto. C’est vraiment aussi bon que cela? Le disque donne le sentiment qu’il a tout compris. Mais quoi au juste ? On y vient. Ne le répétez pas mais la vie est merdique. On va tous mourir. Et c’est très très déprimant et oppressant de penser à cette évidence de manière continuelle. La race humaine est faire de monstres. Nous sommes pour la plupart (et je n’écarte pas les enfants et les mannequins lingerie) laids et méchants. Nous sommes de vrais sauvages, des barbares, des bâtards cruels et sans cœur. Il y a bien quelques personnes autour de nous avec lesquelles nous nous comportons comme si nous étions civilisés mais cela ne fait pas illusion. Nous sommes affreux et le monde ne va nulle part. Vous saisissez l’idée? Umberto a vu tout cela. La vie est un film d’horreur où il n’y aurait nulle part où se cacher. Ils t’auront à tous les coups. Alors ainsi va la vie : Alienation est un disque remarquable. C’est un disque de musique suggestive, inspirante, réalisé par un artisanat musical de pointe. De l’electronica fabriquée à la maison (en studio), lo-fi et à petit budget, une série de mini-symphonies qui vous foutent les jetons, la chair de poule et vous procurent des démangeaisons (de plaisir, de désir et de rage) dans la colonne vertébrale.
Drifters, le deuxième morceau, est un titre de 7 minutes de pur génie. Cela nous rappelle ce qu’Umberto a fait de mieux sur Confrontations ou son classique Night Has A Thousand Screams, mais c’est bien plus oppressant et sombre. Le disque entier est hanté, habité par une présence spectrale qui est très dérangeante et qui culmine sur certaines pistes chantées (par Victoria Gokun et Edward Tonoyan). Black Sea est impressionnante et sonne comme une messe noire. La chanson progresse et descend pas à pas vers les ténèbres froides. On quitte Los Angeles, où vit le bonhomme, pour un voyage régressif et pré-satanique aux accents Lovecraftiens vers Providence. Tout ceci est fait avec une facilité remarquable. Elimination nous donne l’occasion de souffler un peu, tandis qu’on replonge avec Dawn of Mirrors, dont le rythme baléarique est irrésistible, dans la noirceur la plus épatante du disque. C’est glauque mais nos pieds ne peuvent pas s’empêcher de danser et de remuer. Notre cœur bat, quant à lui, aussi vite que celui d’une vierge de boucherie prête pour le sacrifice. On a plaisir à s’en remettre à l’autorité musicale de Umberto. Ses synthés ont des accents directifs et autoritaires en même temps qu’ils semblent agir en toute liberté et comme animés par une liberté d’amok, ces dingos d’amour, exaltés et malheureux à la fois. Awakenings ressemble à un très bon morceau de Kraftwerk. Confrontations parlait des OVNIs, des extraterrestres et de possession. Celui-ci parle du futur qui n’arrive pas, des choses qui nous guettent, des fantômes, des naufrageurs et des marins perdus. Il parle de l’anxiété soulevée par la vie moderne et de sa manière de transformer notre quotidien en un enfer surréaliste et vide de sens. Le cœur de l’Amérique. Le cœur de l’Occident. La Sehnsucht et l’anxiété. Autant dire que la musique d’Umberto nous touche souvent au cœur et là où ça fait mal. Elle nous terrorise, nous glace, bien qu’elle se présente à nous comme une sorte d’électronique un peu cheap et composée avec ce qui sonne comme du matériel vintage. On entend parfois les craquements et les étincelles des vieux synthés à l’arrière-plan. Ecouter ce disque donne le sentiment qu’on s’apprête à prendre l’escalier qui mène au cabinet du Dr Caligari ou du Dr Frankenstein. C’est à la fois excitant et flippant mais pas forcément ce qu’on a le plus envie de faire sur notre temps libre.
Pour dire la vérité, il nous faut plus de musique comme celle-ci. Les albums d’Umberto sont trop courts. Quand on pense en avoir terminé pour cette fois avec le beau Lost Night. « C’était juste un cauchemar, alors ? », cet enfant de salaud remet un clou dans le cercueil avec Passage. Et nous revoici au point de départ. On n’a jamais bougé de là : un endroit pourri coincé entre l’Enfer et le Paradis qu’on appelle la Terre. Bonjour chez vous.
Ecouter Umberto – Alienation
Some people don’t understand how deep is my taste and reverence for Umberto’s music. For a few of them, i still consider my friends, what he does is just cheap electronica for weirdos. They definitely don’t understand what I can see and hear within those invisible soundtracks the guy keeps composing year after year. Umberto is a strange guy. He has long hair which he doesn’t seem to wash that often, a very pale complexion and dark eyes who perspires a regular lack of sleep, though he can’t be over 30 year old. Matt Hill aka Umberto generally wanders through Europe with a few records and synths. He travels alone, by train, and goes from club to club, where he plays his haunting music in front of what could be easily called crowds, i.e a reunion of a few dozen/hundred people who don’t know each other mostly and gather to hear what he has to keep unsaid.
People who like Umberto’s music just know how important his music is. It used to belong to the giallo genre, from John Carpenter to old horror movie soundtracks from the Fulci era. It is a bit ambient music or even drone, now, as Umberto gently moves to explore new electronic territories. This is not music for the masses, nor music for having fun : it is seriously gothic and really really good if you got to slain some friends and dissimulate their corpses in a forest at night. Only joking ! Alienation could well be Umberto’s best record. It is as good as this. It sounds like he now has understood everything. What’s everything ? Here comes the good question. Don’t repeat it but LIFE IS SH*T. We are all going to die. And all this is very very dark and oppressive when you come to think about it. Human race is made of monsters. We are ugly and mean. We sure have a few friends towards whom we act as if we were civilized people but we are not like that. We are barbaric, heartless bastards and our world is going nowhere.
Get it ? Umberto has seen it all. Life is like an horror movie. Don »t run. They definitely will get you. But there are a few places to hide and you can even reach a few moments of grace and harmony between the scenes. So it goes : Alienation is simply amazing. It is suggestive music at its highest point of craftsmanship. Home-made electronica, lo-fi, lo-budget enigmatic mini-symphonies which give you goosebumps and spine thrills. Drifters, the 2nd track, is 7 minutes of pure brilliance. It reminds us of Umberto’s best work on Confrontations or Night Has A Thousand Screams, but it is far more oppressive and dark. Umberto’s terror has moved from supernatural causes to daily anxiety, alienation and everyday madness and it gets more and more disturbing.
This whole LP seems haunted, habited by a spectral presence which really is fantastic and culminates on a few tracks with strange vocals (by Victoria Gokun and Edward Tonoyan). Black Sea is really impressive and sounds like a black mess. Umberto’s songs seems to progress towards absolute darkness. We leave Los Angeles for a regressive pre-satanic lovecraftian trip to Providence and it is amazingly done. Elimination brings us relief but we delve again with the Balearic rythm of Dawn of Mirrors, probably the best uptempo atmospheric track here. It is gloomy but your feet keep dancing and your heart beats like the heart of a virgin ready for sacrifice. It is good to rely on Umberto’s authority. His synths are at the same time highly directive and crazy as f*ck. Awakenings sounds like a very good Kraftwerk track. Confrontations was about UFOs and strange stuffs, about aliens and possession. This one is about things to come, about ghosts, dead sea navigators and how much anxiety modern life can bring into our everyday life. It comes close to the bone and it is all the more frightening it is all composed which what sounds retro-cheap equipment. We feel the scratches and the sparkles of old computers and synths working. Alienation targets the core of American anxiety, the roots of Occident Angst.
Listening to Alienation is like getting downstairs to Dr Caligari or Dr Frankenstein’s cabinet. It is exciting and the last thing you would do on your spare time. We need more music like this. It is Teenage Angst at its best. When we think it is over with Lost Night (so a bad dream it was), Umberto nails our coffin back with Passage. And so we are back to where we have always been : someplace between heaven and hell we call Earth. Be seeing you !
02. Drifters
03. Elimination
04. Black Sea
05. White Night
06. Dawn of Mirrors
07. Awakenings
08. Lost Night
09. Passage
Lire aussi :
Umberto / Black Bile