Speedy Ortiz / Rabbit Rabbit
[Wax Nine]

7.3 Note de l'auteur
7.3

Speedy Ortiz - Rabbit RabbitLe ventre mou du rock indé américain a tendance à sonner toujours un peu pareil. Une voix indistincte, souvent avenante et qui chante entre les instruments comme si elle menaçait d’être écrasée au moindre pas de côté de l’un ou l’autre de ceux qui l’accompagnent. C’est du rock surimi, taillé pour les radios, qu’on peut écouter en bruit de fond pour faire du skate, boire un verre en boîte ou faire ses devoirs sans se prendre la tête. Speedy Ortiz, le groupe de Sadie Dupuis, œuvre depuis une douzaine d’années dans ce registre bien identifié mais il affiche sur ce Rabbit, Rabbit, un petit supplément d’âme qui repose sur les qualités vocales et de composition de sa leader.

Il y a toujours eu un petit quelque chose de particulier chez Dupuis. Elle joue du piano et a trouvé le nom de son groupe dans le Love and Rockets des frères Hernandez, l’un des comic-books indépendant les plus cools de toute l’histoire du genre. Elle a toujours eu une attitude un peu distante par rapport à sa production, une sorte de second degré à peine exprimé, qui lui confère un certain détachement, une cool attitude qui n’est pas sans rappeler le mélange d’assurance et de désinvolture qu’on retrouve chez les Breeders et chez Stephen Malkmus, musiciens pour lesquels les Speedy Ortiz ont ouvert par le passé.

Il y a sur ce quatrième disque du groupe des choses assez convenues et attendues comme Ballad of Y and S, You S02 ou encore Brace Thee en mode ralenti, qui fonctionnent bien, sont susceptibles de faire un peu danser et même d’émouvoir, mais qu’il est probable que vous oublierez assez vite après deux ou trois écoutes. Et puis, et surtout une poignée de morceaux qui sortent du lot et ont un petit truc en plus, soit parce que la mélodie vocale est posée quelque peu bizarrement et produit un effet fascinant, soit que les arrangements de guitares soient particulièrement réussis. Il y a une vraie parenté entre les meilleurs morceaux de Speedy Ortiz et ce que proposait jadis le groupe Veruca Salt, une sorte d’énergie féminine rugissante, qui par intermittence dégage un charme ravageur et d’autres fois se contente de ronronner bien tranquillement. Cry Cry Cry fait partie des titres qui attirent l’attention, comme le très rock Ghostwriter qui referme le disque. On aurait pu aussi citer Kitty, qui est un single aussi limpide, clair, qu’addictif et épatant. S’il est assez difficile d’expliciter ce qui s’exprime ici, on a le sentiment sur ces quelques morceaux que Speedy Ortiz a saisi un truc après lequel certains groupes courent toute leur vie : une facilité dans le montage des pièces d’une chanson, une fluidité, une manière de jouer sur le tempo et une façon bien singulière de poser le chant où on ne l’attend pas qui font mouche. Une chanson (à l’ouverture) est consacrée à l’actrice Kim Cattrall de Sex and The City. On aime aussi beaucoup la chanson Who’s Afraid of The Bath, dont le texte (comme sur la plupart des morceaux ici) est excellent.

Don’t wear a ponytail, if you can help it, don’t go alone
That clown doesn’t work here anymore, but there’s no way to stop him
Coming out to the gig if he paid for a ticket tonight
Barks in my ear like an extinction burst
Ignore it, alright?

Hard to say what happens
But they keep on coming up with stories about our past
Though we share in none, don’t know each other
I’m underwater and soundless
Never betray that I’m sinking, down bathwater he drew
Being honest, others draw it too

Sadie Dupuis trouve toujours un bel équilibre entre la confession, la manière de raconter une histoire assez précise et en même temps, comme Malkmus d’ailleurs, de garder une part de choses qu’on ne comprend pas. C’est le cas sur le hit remuant Ranch vs Ranch qui joue beaucoup sur les assonances et les effets de bizarrerie. On se situe ici dans le pur rock indé US, presque surréaliste et qui ne repose que sur des effets de manche assez sublimes, un vrai bonheur d’écriture et d’association d’idées beat. Exemple sur ce couplet :

Not every videotape needs rewinding
Up to your neck, misidentified
Hector the leader till he’s lobbying hard
Why should a puppy drink the hair of the dog?

On a l’impression de comprendre tout en ne sachant PAS DU TOUT de quoi on cause. C’est ça l’effet magique : déplacer la conscience raisonnable par une séquence signifiante mais pas trop. Rabbit Rabbit est à cet égard un album parfaitement réussi et qui porte sur lui suffisamment d’étrangeté et de fantaisie pour se démarquer du lot.

Le groupe sera fin février 2024 en concert au Supersonic à Paris.

Tracklist
01. Kim Cattrall
02. You SO2
03. Scabs
04. Plus One
05. Cry Cry Cry
06. Ballad of Y and S
07. Kitty
08. Who’s afraid of the Bath
09. Ranch vs Ranch
10. Emergency & Me
11. the Sunday
12. Brace Thee
13. Ghostwriter
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