À l’heure où un très redouté biopic sur la jeunesse de Morrissey s’apprête à déferler sur les écrans, posons-nous la question : les Smiths au cinéma, ça sert à quoi ? L’utilisation des chansons de Morrissey / Marr dans un film : simple emballage poseur ? Ou bien parfois une cohérence image / musique peut-elle surgir à l’improviste ?
Premier constat : les Smiths se retrouvent aux génériques de nombreux films ou séries TV, mais jamais dans des chefs-d’œuvre impérissables. Comme si la puissance lexicale de Morrissey empêchait les metteurs en scène de pleinement s’en emparer, de vraiment lui adjoindre une consistance visuelle. D’où, dans 90% des cas, une utilisation tautologique des chansons des Smiths : il s’agit logiquement de surligner une quelconque dérive adolescente, une peine de cœur, un adulte qui ne trouve pas sa place dans la société. Jamais le cinéma n’exploita intelligemment l’héritage The Smiths, cantonnant ce répertoire aux teen movies ou aux comédies américaines soucieuses de respectabilité.
Exception logique : John Hughes. Dans Pretty in Pink (qu’il scénarise et produit) puis La Folle journée de Ferris Bueller (qu’il scénarise et réalise), le chantre de l’adolescence « intelligente » utilise par deux fois Please, Please, Please, Let Me Get What I Want (dans Ferris, il s’agit d’une reprise de The Dream Academy). Chez Hughes, cette imploration détermine l’étape intermédiaire entre l’adolescence et l’imminent devenir adulte. Il s’agit d’un moment en creux où tout reste à faire, où le passage d’un état à l’autre pourrait facilement conduire vers l’échec d’une vie. Les Smiths résonnent ainsi comme la bande-son d’une adolescence qui ne sait pas encore très bien où se placer dans la société capitaliste des années 80 (rejoindre le marché boursier, suivre le schéma de l’autorité parentale, prôner l’individualité ?).
John Hughes réfléchit les Smiths car, en tant qu’auditeur et cinéaste, il est synchro avec Morrissey. Les deux artistes possèdent neuf ans d’écart, mais aussi une même clairvoyance sur cette adolescence qui doute d’elle-même. (Hughes, dès Sixteen Candles, osait le contrepied Porky’s – ramenant le teen movie vers des considérations moins graveleuses, de même que Morrissey replaçait l’adolescence dans son secteur le plus morbide et défaitiste.)
Dans Pretty in Pink, la chanson titre était celle (culte) des Psychedelic Furs, dans une version plus commerciale, plus Simple Minds. Logique ainsi à retrouver Richard Butler (leader des Furs), au sein du groupe Love Spit Love, reprendre How Soon Is Now ? pour la série Charmed. Sauf que cette réinterprétation (plutôt réussie), et donc la chanson des Smiths, n’ont pas beaucoup à voir avec les tenants et aboutissants d’un feuilleton geek bien sous tous rapports. Les Smiths font emballage.
Suite à Charmed, dans les années 2000, une comédie américaine filmant l’adolescence (souvent mal) se doit d’incorporer les Smiths à sa bande-son. Logique : un piètre cinéaste incapable de retranscrire à l’écran le désarroi de ses personnages s’en remet automatiquement à l’émotion suscitée par Hand In Glove ou How Soon Is Now ? (cette dernière étant probablement la chanson des Smiths la plus utilisée au cinéma et à la TV).
Et même certaines comédies pas loin de l’excellence ont bien du mal à convenablement utiliser l’apport des Mancuniens. Par exemple, The Wedding Singer, qui est un film drôle et cruel (avec Adam Sandler et Drew Barrymore), remet la chanson Don’t You Want To Hurt Me (Culture Club) dans un contexte méta, mais ne sait trop comment gérer How Soon Is Now ? (le titre, à l’image, vire à l’anecdote, au remplissage).
Les Smiths étant le plus grand groupe générationnel depuis le Velvet Underground, il semblait logique d’en faire le personnage principal d’un film. Ce fut le pari de (500) jours ensemble, comédie sentimentale très sympathique mais dont la qualité ne dépasse jamais son adorable point de départ : Tom rencontre Summer, dans un ascenseur, car les deux sont fans des Smiths. Morrissey devient un équivalent à Tinder : il suffit maintenant de confesser son amour des Smiths pour faire une rencontre ! (500) jours ensemble transforme les Smiths en pur outil de drague, en une première approche pour convoiter la jolie fille inaccessible. Troublant retournement de situation : hier utilisés au cinéma pour signifier l’écart entre soi et le monde, les Smiths, dans le film de Marc Webb, favorisent le rapprochement amoureux.
Depuis 2009 et (500) jours ensemble, les choses sont redevenues plus théoriques. Rares à l’image, les Smiths comptent aujourd’hui moins pour leurs chansons que pour… le titre de leurs chansons. Ainsi, la série Black Mirror, lors de ses saisons 3 et 4, utilise deux chansons des Smiths à des fins stratégiques : dans San Junipero (sommet absolu), le personnage principal écoute Girlfriend In A Coma (la bonté de cet épisode offrant une véritable logique à l’utilisation des Smiths) ; puis, explicite, un autre segment s’intitule Hang the DJ et s’achève par Panic.
Les Smiths, dorénavant, pour les rares cinéastes piochant dans le catalogue Morrissey / Marr, ne conversent plus avec l’adolescence mais s’apparentent à une mise en théorie de l’image filmée. Comme si les paroles de Morrissey pouvaient remplacer un dialogue ou une explication. Comme si les Smiths, dans une série actuelle ou un film contemporain, divulguaient une information capitale. Juste retour des choses : de remplissage sonore dans les 80’s, la musique des Smiths possède maintenant une envergure utilisée à des fins prophétiques.
Manque simplement aux Smiths un cinéaste qui aurait transfiguré certaines de leurs chansons en pures images générationnelles. Ce cinéaste, il ne gisait pas bien loin mais la rencontre entre lui et Morrissey / Marr ne se fit jamais : Jonathan Demme, of course, était tout indiqué pour filmer les Smiths de la même façon qu’il inventa l’esthétique visuelle de New Order.
Crédit photo : (500) jours ensemble – capture d’écran.