Hasard du calendrier : les deux meilleurs groupes de rock français contemporains sortent respectivement un premier et un troisième album à quelques semaines d’intervalle. Les Rouennais MNNQNS, avec un Body Negative qui devrait logiquement squatter les référendums de fin d’année ; et les Nantais Von Pariahs, dont le très labyrinthique Radiodurans confirme toute la complexité d’une formation qui refuse de marcher au pas.
Von Pariahs, l’anomalie. Le premier album, Hidden Tensions, proposait un post-punk abrasif, chaud dehors et chaud dedans, absolument parfait dans son héritage mais également doté d’une forte personnalité (Sam, chanteur d’envergure). Rien à voir avec Genuine Feelings, le disque le plus destroy des dix dernières années (il faut le redire) : comme du Pixies cherchant à fracasser le Wall of Sound Spectorien, le groupe, un peu mal compris (ou entendu) dans sa tentative de repousser les limites admises, se rapprochait dangereusement d’un axe métallique qui nécessitait plusieurs écoutes afin d’en percevoir son aspect pop, sa générosité enfouie. Bref : deux albums, l’un contemporain de son époque, et l’autre sans doute un peu trop bestial, un peu trop exigeant pour l’auditeur pressé – un chef-d’œuvre culte, un vrai de vrai.
La porte est donc ouverte en grand. Et Radiodurans, au lieu de stabiliser la musique des Von sur un chemin assagi, montre, au contraire, un sacré gang d’expérimentateurs sonores.
Car à l’instar de Genuine, Radiodurans est un disque qui, lors d’une écoute initiale, déstabilise et fascine en même temps : immense travail de production, architecture rodée mais aux imprévisibles gimmicks, souplesse mélodique pour qui veut bien tendre l’oreille, chant de Sam aux modulations à revers des attentes… Von Pariahs, surtout, ne croit plus en la hiérarchie des genres musicaux : on y entend du Neu !, des guitares acariâtres, du funk, des envolées proche du Echo and The Bunnymen de Porcupine (le très réussi No Legs). Beaucoup d’espace, aussi : le groupe aère ses compositions, y installe des moments d’incertitude, de flottements machiavéliques….
Mais comme pour tous les grands disques, Radiodurans détient un habillage sonore en trompe-l’œil. Il suffit de se perdre dans des chansons telles que The Bigger Picture ou Nothing Something pour en outrepasser leurs sophistications formelles et n’y entendre que le principal : des compositions aventureuses, certes, mais qui ne cherchent jamais à paumer l’auditeur. Von Pariahs exhausse notre souhait : se perdre dans des albums qui refusent le copier-coller pour préférer extraire une sève inédite de leurs (nos) influences principales. Avec des albums tels que Radiodurans, le rock possède encore de beaux jours devant lui. Et Von Pariahs, l’éternité.
02. Decisions
03. Nothing Something
04. Suffocate
05. The West
06. No Legs
07. Communication
08. Inhale / Exhale
09. Envious Eyes
10. Drinks