Voilà une des bonnes raisons pour lesquelles on était content de voir arriver la rentrée : The Tale of Tommy Gunn, le troisième album de Johnny Dynamite & The Bloodsuckers, chouchou et chalengeur du podium de notre célèbre Top Albums 2021 pour l’ébouriffant Sleeveless. Il est de ces groupes comme on en trouve peu, avec leur minuscule communauté de fans, faisant des pieds et des mains pour soutenir leur poulain. Parmi les milliers d’albums sortant chaque année, qu’un membre d’un magazine, même passionné de cold wave, soit touché, revenait à trouver une aiguille dans une meule de foin. Plus étonnant est que ce dernier contamine le reste de l’équipe. Depuis, SBO est une petite chapelle conquise, hélant dans le désert de la toile à plusieurs milliers de kilomètres de son artiste, suivant et le soutenant mordicus.
Sur la route des cœurs brisés
C’est donc avec joie que nous retrouvons tous les grigris et fétiches par lesquels s’alimente la musique de John Morisi. Love In New Madrid, sorte de When In Rome miniature dans une ville du Missouri, se veut une romance miniature, une historiette d’amour, certes, mais qui fait mal tout de même. Les guitares se font pensives, elles tentent de nous murmurer quelque chose. On a cette impression d’errer en toute oisiveté dans les rues du fin fond de l’Amérique, solitaire Mister Love Amour d’éternels décors rectilignes bellement vides, vus et revus de Twin Peaks à Hemlock Grave. C’est cette musique que les étudiants désabusés de la fac de Camden, dans Les lois de l’attraction, écouteraient si le livre de Bret Easton Ellis avait été écrit de nos jours. Johnny et ses succubes n’ont pas terminé de vampiriser le sang de la décennie 1980. Seventeen et son romantisme au diabolo, bien discipliné, lui, contrairement à des groupes comme Choir Boy ou Korine, nous donnent envie de nous balader solitairement, de sortir du grenier notre veste en jean à piques, celle qui prévenait implicitement tout importun d’un « ne m’enquiquine pas! ».
C’est par ses différents effets électroniques, et non pas vraiment ses guitares mélancoliques, que le groupe trouve son son. Le précédent, Sleeveless (2021), regorgeait de motifs poussifs, mais juste à point pour renouveler le sang d’une époque pourtant révolue. Flâneur et lambin, on traîne nos guêtres dans des bois incendiés par le couchant au son de Childhood Mutations, morceau semblant être tombé du précédent album. C’est l’ambiance lugubre de The Cure, de ces bois si joliment spectraux, si bellement désolés, et les citrouilles brillent au loin, à l’orée des résidences endormies dans l’automne. Outre les truismes et clins d’œil qu’on repère depuis l’évanescent Heartbroken (2019) à O.M.D., New Order, Tears for Fears, A-Ha ou The Smiths, le groupe, contrairement aux contemporains Pale Blue Eyes ou Working Men’s Club, refuse de se définir par ce baluchon de références, possédant une identité propre par la maximalisation d’un charme suranné.
Zombi, vous avez dit zombi?
Difficile d’associer Johnny Dynamite & The Bloodsuckers à une tranche de groupes spécifique de cette glorieuse décennie. Lullabies & Nightmares rappelle le Depeche Mode de Strange Love, et Waste Me pourrait ressembler à une face B d’un autre Johnny, Johnny Hates Jazz, et c’est peut-être à cette unique part d’artistes à qui on pourrait associer son chanteur, entre les oubliés Nik Kershaw, Paul Young et Howard Jones, artistes de second tableau restés enfermés dans une relative confidence mais composant l’arrière-plan sonore d’une époque.
Pour autant, soutient fervent n’est pas synonyme de concert de louanges permanent. Qui aime bien châtie bien. Chaque morceau du précédent était incroyable, un pur plaisir débordant suffisamment pour l’écoute répétée. Et il faut avouer que ce The Tale of Tommy Gunn reste pâlot, par rapport à ses deux illustres prédécesseurs. C’est comme si la magie ne prenait pas cette fois, tout du moins : moins. Un morceau acoustique comme Star Sixty Nine, bien que détonnant, et sa larmoyante rengaine « I’m still thinking about her » sont parfaitement délaissables. Sur Waste Me, le coup de saxo ressemble incongruement à Seibteix. On avait même râlé un peu lors de la sortie d’un caricatural Lakehouse, single qui les enfilait trop facilement comme des perles. C’est dommage. Heureusement, l’album s’apprécie d’autant plus les réécoutes, nous remettant de la déception. Car il reste un style, une légitimité s’imposant naturellement. C’est l’énorme talent du groupe : celui de ne jamais ressembler à un pâle chromo, à une parodie décadente 80’s, mais de faire sienne l’époque, de l’acclimater à son propre univers, prolongeant ainsi cette intimidante décennie désormais quarantenaire.