Face à la plupart des référendums musicaux 2018, cette évidence : Alain Chamfort s’impose comme l’un des héros de l’année. Si son dernier album, Le Désordre des Choses, n’entre pas toujours dans le Top des Webzines ou journaux hexagonaux, nous le retrouvons néanmoins, de façon très personnelle, voire affirmée, dans la playlist de nombreux chroniqueurs. Quoi qu’il arrive, cette année, le bel Alain détient la position du Commandeur de la french pop.
Plusieurs raisons à cela. D’abord, évidemment, la haute classe de son dernier album. Sans doute l’un de ses meilleurs. Entre pop, chansons, Slave to Love et Domino Dancing, Le Désordre des choses entrecroise l’élégance dandy à divers sommets de lucidité morrisseyenne. Si le parolier des Smiths avait un jour croisé le fer avec Bryan Ferry, le résultat aurait très certainement ressemblé au dernier album de Chamfort.
Mais si Chamfort domine l’année 2018, c’est également en raison de ses textes (concoctés avec le génial Pierre-Dominique Burgaud). À l’heure où Miossec et Dominique A (« je pourrais être leur papa », chantait Alain en 2003), sans vraiment démériter, écrivent aujourd’hui leurs paroles avec distance littéraire, jusqu’à finalement s’apparenter à des écrivains bien plus qu’à des compositeurs, Chamfort, de son côté, conserve la simplicité des mots identificatoires. Comme hier avec Morrissey ou Neil Tennant, nous comprenons ce dont parle Chamfort. Il n’a rien à prouver. Il n’a aucunement besoin de chercher l’inspiration dans le passé de ses grands-parents ou dans ses amours de jeunesse. Chamfort écrit au présent des textes simples, malins, drôles, profonds, dénués de toute autorité comme de fausse complexité. Des textes proches de l’auditeur – les fans des deux derniers Dominique A peuvent-ils affirmer s’être sentis en osmose avec les actuelles considérations de leur auteur ? J’en doute.
Notre enthousiasme envers Le Désordre des choses s’explique enfin par un lien profond, toujours coriace, à l’égard d’Alain Le Govic.
Pas question de raconter des souvenirs d’enfance, mais, pour beaucoup d’auditeurs ayant swingué lors des 80’s, il faut rappeler l’importance que revêtaient à nos yeux les albums Amour Année Zéro et Secrets Glacés. Deux pierres fondatrices que nous placions à égalité avec le Bashung de Play Blessure, le Taxi Girl de Seppuku et le Jacno de Rectangle – Serge Gainsbourg endossait le patrimoine de l’arbitre malicieux.
Avouons avoir un peu perdu de vue Alain Chamfort au début des années 90. Ses albums étaient bons (Trouble et Neuf), mais nos oreilles, en pleine époque Diabologum et La Fossette, commençaient à honteusement faire table rase du passé pour mieux jouir d’un présent dénué de nostalgie.
Nostalgie ? Sûrement pas lorsque nous entendîmes l’album Personne n’est parfait, en 97. Soudainement, en pleine osmose avec la nouvelle chanson française, mais avec une sérénité qui manquait alors aux jeunes pousses, Chamfort, tranquillement, revenait à nous comme l’un des plus grands en France. Ce fut également le moment pour la critique d’englober Chamfort dans la liste des « patrons contemporains» (avec Gainsbourg, Bashung, Jacno, Daho). Cette année-là, entre Portishead, Elliott Smith et Radiohead, Chamfort se taillait une jolie place au rang des meilleurs albums…
Depuis, Chamfort n’a jamais démérité… Certes, nous n’avions que moyennement apprécié son album de 2015 (Alain Chamfort, bizarrement plat malgré la production de Frédéric Lo). Mais rien de grave ou qui ne puisse entacher notre relation avec Alain. En revanche, Le Plaisir et Impromptu dans les jardins du Luxembourg (avec un numéro spécial de Magic incluant le DVD), c’était du bon, du très bon Chamfort.
Jusqu’au Désordre des choses. Un nouveau sommet. Une nouvelle correspondance entre Alain et son public. Naturellement. Avec logique.
Peut-être également le long parcours de Chamfort, et sa fidélité envers autrui, ne l’ont jamais autorisé à dévier de lui-même, de ce qu’il est, de ce que nous aimons chez lui : une belle personne.
Histoire sans fin…
Crédit photo : capture d’écran du clip Les microsillons.