Wavves / V
[Ghost Ramp / Warner]

Wavves / VAprès la relative déception causée par son album avec le leader de Cloud Nothings, sorti au début de l’été, on attendait Nathan Williams au tournant pour le cinquième album de Wavves. Le groupe serait-il à la hauteur des attentes successives nées de ces deux derniers LPs, les somptueux King of The Beach et Afraid of Heights, et de sa glorieuse première partie de carrière punk-lofi? La réponse est sans hésitation OUI. V (pour album n°5 et Victory, certainement) est un album assez exemplaire et qui, à défaut de marquer une évolution quelconque dans l’orientation musicale du groupe, confirme, souligne et affirme l’incroyable talent de son principal compositeur.

V est un album de chansons remarquables qui s’adresse, comme les précédents, aux « jeunes » et aux nostalgiques (déjà) de la génération Y, cette génération non alignée, perdue et dont le repli sur soi (et sur l’herbe) s’accompagnait d’une sorte de j’menfoutisme punk qui rappelait à la fois le mouvement original et l’âge des slackers rois à la Pavement. Nathan Williams qui a désormais presque trente ans est presque devenu, malgré lui, le porte-parole et vétéran indépassable et irresponsable de cette jeunesse Américaine qui n’en a rien à battre de rien et se débat plutôt avec sa gueule de bois qu’avec l’idée d’aller faire la guerre à l’autre bout de la planète. On peut ainsi critiquer Williams et Wavves pour l’insouciance qui se dégage de leurs compositions. De mal de tête, il est ainsi beaucoup question ici, comme si l’existence se résumait à griller des joints sur la plage ou sur sa terrasse, à enfiler pas mal de bibine, avant d’aller, tant bien que mal, se coucher comme si on voulait sauver sa propre vie en la détruisant. Sur le plan « moral » et en terme d’apport social (ah, ah), les types comme Williams sont le pire exemple qu’on peut donner à notre jeunesse. En France, à considérer que la musique soit encore un sujet de débat public, il y aurait probablement des types (des socialistes libéraux et des néo-réacs) pour prôner l’interdiction de ces merdes qui attentent à la valeur travail. L’album démarre d’ailleurs par un puissant Heavy Metal Detox, joueur et incisif, à l’accroche assez explicite : « I’m not doing anything today/ I dont care what you say/ I’m not going out i’m staying home/ have i Lived too long ? Why does my head hurt ? I can’t decide if I’m getting worse”. Qui dit mieux ? Ce quasi-manifeste original sera décliné avec une constance qui confine à l’acharnement sur les dix autres titres de l’album. D’aucuns ont pu reprocher au groupe la monotonie de ses sujets mais c’est évidemment un argument débile, car la manière de dire l’ennui, le dégoût et l’absence de projet est au cœur du projet de Wavves et se décline ici, comme elle pouvait l’être chez Dinosaur Jr, selon des dizaines de nuances différentes. Mieux que ça, derrière le discours qu’on peut facilement qualifier de « nihiliste », il y a bien au moins deux ou trois choses pour lesquelles Williams est prêt à sortir de son lit et à se mettre en quatre : la musique, l’amour (en l’occurrence sa perte) et… l’aspirine (bien sûr). Musicalement justement, le type a le feu sacré. V est une tuerie bruyante et mélodique. Williams compose avec une facilité déconcertante des chansons aux refrains imparables. Il alterne le surf rock, le grunge, le punk et la musique californienne. A ce degré de virtuose et d’efficacité pop, la musique de Wavves paraît aussi facile et fluide que l’était celle des Beach Boys. On se dit que c’est de la variét pour néo-punks mais il ne faut pas s’en laisser compter. La ligne de basse sur le superbe Pony est probablement ce qu’on a entendu de plus cool depuis la fin des Pixies. La chanson revient probablement sur la rupture (consommée) avec la chanteuse de Best Coast qui a assez longtemps partagé la vie de Williams. Cette question de l’abandon constitue l’un des fils rouges de l’album et cela donne souvent, comme chacun sait, de belles chansons.
Pony donc mais aussi l’archétypal All the Same. “I’m more insane each day, but it’ll be ok.” Du Wavves pur jus. Les mots de la fille qui part résonnent dans la tête du chanteur qui a perdu son boulot et la boule le matin même. Le titre est, comme souvent, emballé en moins de 2 minutes et il n’y a rien en trop, ce qui est devenu si rare de nos jours qu’on a presque perdu l’habitude. V est un album concis, précis et pressé. Williams est aujourd’hui l’un des seuls compositeurs qui ose s’avancer dans un titre avec une seule idée, une seule ligne d’accord. Cet album est composé de chansons moins complexes que les deux précédents et s’en tient à la substantifique moelle des titres. Les chansons sont souvent privées d’intros digne de ce nom et se terminent comme elles ont commencé. Le gars dit bonjour/ au revoir sur 3 ou 4 notes et 4 secondes. Entre les deux, c’est à toute berzingue, couplet/couplet/refrain et retour. C’est d’une efficacité complètement irrésistible, d’un charme à en devenir dingue d’amour.

Sans vouloir en faire des tonnes, Williams peut être considéré comme la synthèse parfaite de tout ce que le rock US a produit jusqu’ici. C’est la pop pré-post-psyché de Big Star, la rage dingo des Stooges, le romantisme des Beach Boys, la folie et la précipitation des Pixies, la colère de Cobain, les cheveux gras de J Mascis et la classe de David Johansen emballées dans un corps et une langue d’ado à la Larry Clark. A bien chercher, il n’y a guère que le rock intello new-yorkais qu’on ne peut pas retrouver ici. Pour le reste, Redlead est un morceau à tomber. Heart Attack sent la guimauve et le tube de supermarché à plein nez, sauf que Williams le ralentit à l’extrême avant de le chanter comme s’il mâchait un chewing-gum ou se masturbait de la main gauche. On vendrait notre maison, notre femme et les enfants pour écrire un morceau comme Flamezesz qui est le second single choisi pour représenter l’album. Sous ses airs de classique surf rock, il y a tout Wavves dedans : une mélodie impeccable, une basse démente, des riffs qui tuent, des ruptures de rythme et un refrain assez con pour qu’on ait envie de le chantonner toute la journée. Wait est encore mieux ou au moins aussi bien. Williams traite du grand thème du rock indé US qui est de se faire la malle, de quitter le navire, la ville et tout ce qu’il y a dedans. Sauf qu’à la différence du Malkmus de Pavement dont les rêves l’emmenaient systématiquement ailleurs ou vers une nouvelle frontière, Williams est cloué chez lui et condamné à ne pas pouvoir sortir. C’est cette immobilité devenue génétique à grand renfort d’herbe, de télé et d’amour sur le canapé, qui définit la musique de Wavves.

Le rêve américain est mort et enterré. Il n’est même plus suffisamment motivant pour se lever le matin et s’habiller. Il ne faut pas dès lors s’attendre à ce que les chansons évoluent ou changent ou explorent quoi que ce soit. L’art de Wavves comme son chanteur prisonnier entre quatre murs est condamné à cette forme de surplace éternel, à ressasser les mêmes thèmes (« everything sucks » sur le tourne en rond Tarantula), selon les mêmes codes. La pop elle-même devient juste un jeu sur la variation, la meilleure manière de revenir au point de départ. En un, deux ou trois coups, et c’est reparti. Tout ceci est d’autant plus paradoxal que lancé depuis l’épicentre du rêve californien, entre le soleil, l’asphalte et les filles en maillot de bain. Il faut supporter ces conditions de production si particulières si on veut voir la lumière dans la musique de Wavves. Il faut accepter de tourner bourrique et en rond. Il faut accepter de revoir passer devant soi les mêmes motifs, les mêmes mélodies vocales des dizaines de fois. V s’achève sur Cry Baby qui est emblématique de tout cela. Le refrain est « I cant breathe/ There’s no reason you and I aren’t friends ». Le morceau est chanté et écrit comme en pilotage automatique. On sent bien qu’il n’y a pas beaucoup d’intérêts réciproques à le mener à terme comme si la finalité était juste d’être là ensemble et de se regarder devenir zombies. Le final ressemble à ça avec les instruments qui partent dans tous les sens et le chanteur qui finit par craquer. C’est beau comme du Brett Easton Ellis à guitares.

La musique de Wavves est un récit de la folie ordinaire contemporaine, de la contamination virale du monde par l’ennui et le dégoût de soi. C’est à la fois le sommet et le cul de (haute) fosse de notre culture occidentale. Autant dire, un point de passage obligé pour continuer à vivre et à écouter de la musique.

Tracklist
01. Heavy Metal Detox
02. Way too much
03. Pony
04. All the same
05. My Head Hurts
06. Redlead
07. Heart Attack
08. Flamezesz
09. Wait
10. Tarantula
11. Cry Baby
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