Le deuxième album de Wild Arrows, le groupe new-yorkais composé de Mike Law, Yasmin Reshamwala, Brandon Collins et Rebecca Huston, ravira les amateurs de Blonde Redhead. Mais pas que…. Complexe, riche et garni de quelques morceaux réellement mémorables, le disque marie l’efficacité redoutable des bonnes franchises synthpop et le pouvoir hypnotique et un brin érotique du shoegaze évanescent. Comme son nom pourrait le laisser penser, on n’est pas ici dans le fumeux et le vaporeux, pas dans le shoegaze de bas étage où la mélodie et les voix se dissolvent sous les larsens. Wild Arrows est un groupe de l’entre-deux, de l’entre-deux émotions (est-ce triste ou joyeux ?, on se pose souvent la question), de l’entre-deux genres (pop, rock ?), mais pas un groupe de la demi-mesure.
La première moitié de Dreamlike Dream est irrésistible et il faut attendre l’anodin Alphabet Girl en plage 6 (sur 9) pour trouver un titre qui ne présente pas de singularité manifeste. Avant cela, c’est un festival d’intelligence, de créativité, une démonstration de force qui mêle instruments acoustiques, guitares électriques et synthés dreamy. On a déjà tout le bien qu’on pensait du single Dark Me, à l’ambiguïté savoureuse. « You wake me from the dead, then cut off my head/ I laugh until there’s no more sound », chante Mike Law de sa voix androgyne. Difficile de faire entrée en matière plus marquante et terrifiante. Le morceau arbore une fausse légèreté à la The Cure (période Just Like Heaven) qui ne fait jamais illusion : la respiration de Mike Law n’est pas celle d’un homme normal. Est-il mort ou vivant ou juste amoureux ? On en saura pas plus. Toujours est-il qu’on n’est pas rassurés quand le groupe enchaîne sur le remarquable Break Through. Le titre est vif, ramassé en deux minutes trente et fonce à toute berzingue vers une issue lumineuse qui fait penser à un bon Ride circa 1992. Le groupe continue de jouer avec nos nerfs avec l’arythmique Nervous. Le tempo est ralenti et les machines hoquètent pour laisser passer le chant, le tout créant un système de dérangement dysfonctionnel et émotionnel plutôt convaincant, en parfaite résonance avec le trouble évoqué dans le texte. Le morceau revient à des rythmes plus soyeux sur le refrain mais ne se dépare jamais d’une forme de maladresse qui nous maintient sur nos gardes. Et cela continue ainsi sur un Dreamlike Dream magnifique chanté par Yasmin Reshamwala, entre Cocteau Twins et Mazzy Star.
Il faut dire ce qu’il est : on a rarement croisé cette année une telle séquence de 5 morceaux, consécutifs de cette qualité. Oh-H abuse des réverbs mais nous ramène tout droit dans la meilleure new wave des années 80 et 90. The Cure ? New Order ? On n’avait pas retrouvé cette séduction mêlée des guitares et des machines, surmontée d’une voix crâneuse et concentrée sur son propre rythme depuis un bail. Et ce n’est pas fini. A l’exception d’Alphabet Girl, l’album a encore de belles surprises à offrir. Certains goûteront l’élégance cinématographique de l’ample Seahorse/Hummingbird, tandis que d’autres ne jureront que par l’ambition du long et fascinant Deceiver. Le titre s’étire sur plus de six minutes alignant des séquences qui vont de la pop magique (à compter de 4 minutes trente) au trip hop lugubre (le démarrage). Le morceau n’est pas complètement réussi (trop long probablement) mais témoigne de l’audace du jeune groupe et de sa volonté d’explorer au maximum les limites et les possibilités de sa formule. Dreamlike Dream s’achève sur un énième tour de force avec un Dead Ends, dansant et irrésistible. Law menace sa nana de claquer la porte et le fait avec une efficacité incroyable. « I made peace with the poison pen/ And the wolf in my clothes, huh/ your dyed blue colored voice howls/ to the lions that hunt in my heart…/ ah, soi t goes/ I wont live in your dead ends ». Le groupe n’est pas avare de métaphores mais l’exécution musicale est remarquable, créant, sur chaque reprise, un effet de suspension (et de suspense) qui donne envie d’aller plus loin. Que demander de plus ?
Ce deuxième album n’est pas la claque de l’année mais c’est un excellent album et une très belle découverte pour ceux qui n’ont jamais croisé la route de Wild Arrows. Si on aimait les jeux de mots (héhé), on dirait que le groupe a touché sa cible, peut-être pas dans le mille mais à quelques centimètres de là. Le cercle concentrique est transpercé et la tête nous tourne un peu.