Dès les premières notes de Thrill Addict, troisième album de Peter Kernel – si l’on excepte le soundtrack imaginaire de 2011 Il Pomeriggio Non Si Sa Mai Bene Cosa Fare – tout reprend exactement là où les choses s’étaient arrêtées en 2011. Ecstasy, titre d’ouverture en clair-obscur et qui porte la signature du groupe, annonce ce qui va suivre pendant les 54 prochaines minutes : une succession de hits en montagnes russes (suisses ?) et de conditions climatiques contrastées. Aris Bassetti, guitariste et chanteur, y susurre « I wish I could avoid gravity » : la thématique de l’espace et du voyage autour de laquelle le disque est construit est ainsi annoncée… Car en matière d’espace et de temps, on est ici en présence d’un groupe au sommet de son talent et qui maitrise désormais mieux que quiconque la retenue, la tension, la concision d’arrangements minimalistes dans un « espace » stéréo totalement conquis, dompté. La production exemplaire de l’album, tenue par le groupe, mais aussi Miguel Constantino et Andrea Cajelli, rappelle le travail de Steve Albini. L’aspect brut, live, ainsi que les rythmiques très présentes – assurées par Ema Matis, déjà batteur sur le précédent White Death Black Heart – renforcent cette sensation de maitrise.
Thrill Addict est aussi une parfaite réussite vocale. Le duo à la scène comme à la ville poursuit son exploration dans le registre des questions / réponses (comme aux grandes heures des Pixies, de Sonic youth ou de Blonde Redhead), alternées avec d’autres instants portés par des chœurs. Chaque voix est à sa place et s’impose naturellement au moment opportun, on sent d’ailleurs au fil des 12 titres que c’est le fruit d’un intense travail à deux. On notera alors la progression de Barbara Lehnoff, au chant comme à la basse, pour un rendu final plus affirmé, plus tendu. Franchement, qui d’autre pour mettre de la reverb sur sa basse cette année ? Qui pour crier aussi bien, aussi mélodieusement, comme aux grandes heures de Fugazi ?
Aucun temps faible sur Thrill Addict, si ce n’est peut-être la présence de It’s Gonna Be Great, morceau déjà entendu l’année dernière pour annoncer le nouvel album et qui est sans doute le seul titre en deçà du disque. Mais de High Fever et Your Party Sucks, deux tubes monumentaux, à You’re Flawless (le fantôme de Goo flotte sur cette chanson), en passant par Majestic Faya (un des sommets du disque, son intro où l’on croit entendre Polly Jean, puis plus loin l’ombre de Kat Bjelland et ses Babes In Toyland) ou encore Supernatural Powers et son final en hommage peut-être involontaire à The God Machine (le rythme martial, les voix gothiques noyées dans la réverbération), on sent un duo toujours aussi complice, dans le partage, qui s’amuse énormément et produit son meilleur disque de rock moderne à ce jour.
L’album s’achève avec deux titres qu’on attend ardemment de voir défendus sur scène : I Kinda Like It, sonique et déstructuré et Tears Don’t Fall In Space, parfait final sombre, pesant et romantique (au sens premier du mot), comme si le groupe nous proposait alors une relecture d’Atmosphere de Joy Division « Tears don’t fall in space / I take you there my love / Fall asleep on the way / I think you know what to do for you ».
On peut dire que 2015 démarre fort et que la barre est placée haut pour tous les autres disques à venir. Le premier grand frisson 2015 et sans aucun doute un des plus authentiques qui nous sera donné cette année.