Depuis le temps qu’on se fade par loyauté (et avec une bonne dose d’abnégation) l’écoute de toutes (et ça en fait beaucoup) les compositions d’Anton Newcombe que ce soit sur les derniers albums de The Brian Jonestown Massacre ou avec ses copines (Tess Parks, à plusieurs reprises sans transcender la formule ou encore Emmanuelle Seigner au sein de L’Epée) sans y trouver le moindre intérêt, on a légitimement le droit d’aller chercher notre bonheur ailleurs. Il a beau avoir mis au point la recette, ce n’est plus lui qui suscite l’excitation. La recette lui a été dérobée par Cold Showers depuis une petite décennie déjà et désormais, ce sont les Californiens qui parviennent à la faire fructifier. Il suffira d’écouter Tomorrow Will Come, porté par un mid-tempo qui fait l’effet de passer dans une machine à laver au ralenti pour mesurer la ressemblance. De même avec Measured Man qui pourrait vous permettre de coincer vos petits camarades lors d’un blind-test.
Autant leurs deux précédents efforts (Matter Of Choice et Love And Regret, déjà pour le compte du label Dais Records) manquaient de subtilité pour satisfaire les papilles, autant Motionless est un festin de morgue classieuse, entre posture gothique sans fard et post-punk reptilien. Tout est ici parfait, de la production dont il se dégage une incroyable tension alors que rien n’est criard, à la variation des ambiances qui déploie une belle profondeur de champs pour permettre à l’auditeur de projeter dans la musique du trio ses propres aspirations.
Ce troisième album est ouvertement plus pop, ce qui permet au groupe resserré en trio de laisser la lumière pénétrer dans ses compositions. Il y a de la place entre les notes, on respire et on inspire à pleins naseaux ses mélodies viscéralement mélancoliques. Les influences de The Cure (les plans de guitares circulaires, la ligne de basse implacable, le chant qui harangue) ou encore du Depeche Mode des 90’s (les synthétiseurs vintage qui tisse des toiles d’araignée en arrière plan) sont palpables. On pourrait citer aussi les titres les plus habités de New Order (certes, il faut remonter loin dans leur discographie mais les Mancuniens auraient pu écrire Shine à l’époque de True Faith) ou pointer des astuces et des tics chipés chez Echo And The Bunnymen et The Sister Of Mercy. Comme chez leurs compatriotes de la Cote Est, les Californiens peuvent s’appuyer sur un chanteur à la voix singulière et envoûtante : il suffira de passer le morceau Motionless pour se dire que The National avec les mêmes atouts est devenu une tête de gondole. Mais il sait se mettre parfois en retrait. Quand il laisse toute la place à une jeune femme qu’on n’a pas réussi à identifier sur tout la longueur de Black Sidewalk, la composition tombe un peu à plat, mais c’est pour mieux conclure l’album avec Everyday On My Head, qui laisse le groupe exsangue, emporté dans un tourbillon de cuivres insistants.
Le seul défaut, peut-être, qu’on puisse trouver à Motionless, c’est l’absence de tube majeur (Faith a bien été choisi en single, mais on ne pourra pas le siffler sous la douche), mais la dernière fois qu’on avait entendu un disque aussi excitant et vénéneux, c’était avec Future Islands.