Yung / A Youthful Dream
[Fat Possum / PIAS]

7 Note de l'auteur
7

Yung - A Youthful DreamIl arrive qu’on ne réussisse pas à se faire une opinion ferme : est-ce juste bien ou juste normal ? Est-ce que cela aurait pu être meilleur ? Qu’est-ce que ça vaut vraiment ? Après plus de vingt-cinq ans de critique rock machin chose : ces instants d’indécision où le « peut-être » succède, à quelques minutes d’intervalle, au « mais c’est bien sûr » puis au « finalement, non », sont peut-être les seuls qui valent, ceux où l’on se familiarise suffisamment avec un disque pour l’apprivoiser, lui trouver/inventer des qualités. Il faut amadouer les voix, tenter de percer le sens des guitares, suivre le bruit là où il veut vous emmener et ne pas hésiter à dépasser une appréhension personnelle : une voix qui déplaît, un style qu’on ne connaissait pas. Avec Yung, groupe pop punk danois dont ce Youthful Dream est le premier album, cette indécision est évidemment notre premier refuge. Si l’album démarre fort, très fort avec un The Hatch au son dévastateur et un Mortal Sin « à la Wavves » absolument épatant, les cartes se brouillent un peu par la suite.

Au cœur du revival punk danois (oui, ça existe), il y a le groupe IceAge en tête de file et puis le jeune Mikkel Holm Silkjaer, 21 ans, parcours classique du petit énervé, élevé dans une famille d’artistes et qui prend le maquis/la guitare pour ruer dans les brancards. Pour Yung, le jeune homme phagocyte un groupe punk local qui l’accompagne dans son entreprise DIY de petit génie à guitares. Mais Yung n’est pas que punk et Yung n’est pas que colère. C’est ce qui fout le bazar ici. Écoutez Morning View, le titre 4, et vous vous retrouverez quelque part circa 1995, dans une sorte de revival futuriste de Supergrass. Le morceau est à la fois irrésistible et un peu foireux, comme s’il s’agissait d’offrir un contrepoint ultrapop et briton à la déferlante venue juste avant. Mikkel Silkjaer fait une chanson sur un type qui a oublié son peigne (Uncombed Hair). C’est gentillet comme du Lemonheads light. Sur le titre d’après, A Bleak Incident, on voit bien qu’il s’agit ici de fabriquer du rock indé comme on en faisait dans les années 90. Mais quelle mélodie ! Quelle allure ! Un type qui chante avec cette voix et qui propose ce genre de langueur nonchalante, est prêt pour le Panthéon. A Bleak Incident est laidback au possible. Les guitares se traînent. La basse est lourde et la batterie irrésistible, malgré une production pas à la hauteur de la grandeur du titre. Mikkel Silkjaer chante comme Jay Mascis. Il a beau dire le contraire, il n’en a rien à foutre de rien. Il n’y a aucun incident, aucun événement à raconter qui mérite qu’on se lève le matin : c’est juste du vent, de la tragédie et une gueule de bois existentielle. Yung a beau s’agiter dans tous les sens, le groupe est à l’aise quand il se traîne. Il raconte des bobards sur The Child au texte baudelairien, triste et trompeté n’importe comment. Commercial ne veut rien dire. C’est juste du bruit pour du bruit. Ne fuyez même pas le déjà vu. Le déjà entendu. C’est le cœur même de l’entreprise. Il faut refaire et rejouer mais ça marche car on aime faire semblant de n’être jamais venu. Nous sommes les Alzheimer du rock. Yung est le gars à qui l’on demande quatre fois son âge en l’espace de deux heures. T’as quel âge déjà ? Kezako ? Jamais foutu les pieds ici, et vous ? Commercial et Pills sont sur une autoroute. L’un roule plus vite que l’autre. Alors ils rencontrent Blanket, un peu plus loin, et ils se causent du temps qu’il fait : « tu es une bonne chanson punk, toi. Bravo – Toi aussi, faisons un bout de route ensemble. – Oui, soyons amis. Vous n’avez pas peur qu’on sonne un peu vieux ? – Soupe de tortue, non ! Je ne me suis jamais battue avec un garçon. » Et puis c’est l’accident.

Yung est irrémédiablement cool et bien. Il nous faut de nouveaux groupes pour stopper le vieillissement. Et Yung fait l’affaire cette semaine. Il nous fera à l’aise jusqu’à la fin de l’été. Ensuite, on reprendra la drogue et le travail. On peut trouver cela pathétique mais cet album, qui a presque autant de qualités que de défauts (dites l’inverse, si cela vous convient mieux), est aussi exaltant que les albums les plus modérément réussis de Wavves ou de Cloud Nothings. Il n’y a pas grand monde qui défend encore ces groupes aujourd’hui. Mais avec le Danois Silkjaer, Nathan Williams et Dylan Badi représentent le futur des musiques du passé. C’est grâce à eux que tout ce qu’on aime tient encore ensemble. On peut les remercier pour cela. Ils font le boulot pour qu’on ne finisse pas au cimetière trop tôt.

Tracklist
01. The Hatch
02. A Mortal Sin
03. Uncombed Hair
04. Morning View
05. A Bleak Incident
06. The Child
07. Commercial
08. Pills
09. Blanket
10. The Sound Of Being Okay
11. Silence
12. A Youthful Dream
Ecouter Yung - A Youthful Dream

Liens
Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

Plus d'articles de Benjamin Berton
Après la fin du monde avec Damasio, Hyperrêve réinvente l’amour avec Barbara Carlotti
Sans être des supporters aveugles de la chanteuse Barbara Carlotti, il faut...
Lire
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *