Adrien Durand / Je n’aime que la musique triste
[Le Gospel de Poche]

8 Note de l'auteur
8

Adrien Durand - Je n'aime que la musique tristeÉcrire sur le rock est une des idées les plus casse-gueule qu’on peut avoir. Et dans cet exercice, écrire sur le rapport entre sa propre vie et le rock, si on n’est pas soi-même un rocker connu est l’équivalent d’un tsukahara en saut de cheval : un truc qu’on ne passe pas du premier coup et qui a toutes les chances de nous laisser sur le dos avec trois cotes cassées. Étonnamment, Adrien Durand, qui s’est fait connaître comme promoteur de musique, attaché de presse et accessoirement comme auteur pour un Kanye West ou la créativité dévorante (pas lu) l’an dernier, s’en sort avec un peu plus que les honneurs en signant un petit livre (une centaine de pages) très personnel, écrit sans doute assez vite pendant le confinement (un vrai détonateur pour les vocations) et qui regroupe une petite quinzaine de développements/articles/billets d’humeurs/mini-récits indépendants et qui renvoient soit au lien qu’il entretient avec un artiste, soit à un souvenir personnel, soit à une réflexion générale sur la vie.

On sent immédiatement une grande proximité avec l’auteur, enfant de la culture pop, qui entame son ouvrage en évoquant son rapport au chanteur Morrissey. Sans en avoir l’air, Durand tisse les fils émotionnels avec une justesse et une grâce assez extraordinaires mêlant sa découverte du chanteur des Smiths, l’origine de sa propre mélancolie et l’amour que portent au chanteur les fans mexicains. Le livre, Je n’aime que la musique triste, y trouve son titre et nous, une première occasion de frissonner. Les deux premiers tiers du livre sont composés de cette manière : coulisses de festival autour de la guitare de Patti Smith, développement sur les toilettes des bars ou analyse du mouvement shoegaze. Chaque petite note ne pèse guère plus que 3 ou 4 pages, mais c’est souvent assez pour laisser le temps à Adrien Durand d’amener quelques références partagées, cinématographiques, plus rarement littéraires, musicales bien sûr, un fait générateur (quelqu’un ou quelque chose qui se produit) et un souvenir d’avance ou un écho du passé. On pense, avec moins d’ambition et de technique romanesque, à la légèreté d’un Nick Hornby sur Haute Fidélité, cette idée de mélanger l’intime et le général, de monter de toutes pièces une sorte de « science du rock indépendant », avec une forme de détachement et de sérieux qui rendent toute pensée immédiatement considérable et émouvante.

L’écriture de Durand est à mettre en avant : fluide, concise, directe, elle s’adresse à nous, tout en étant très écrite et « stylée », comme si elle relevait d’un dialogue entre copains ou d’une confession entre amants. Le gars fume sa cigarette (ou pas) et raconte au coin du feu. Je n’aime que la musique triste est un livre d’ambiance, un livre où l’on sent souvent le poids de l’hésitation personnelle, des destins croisés, le poids des tergiversations, des doutes déposés par ce qu’on appellerait ailleurs des « choix de carrière » ou des « orientations ». Sans connaître l’auteur outre mesure, on devine qu’il a voyagé (Canada, Etats-Unis), qu’il a navigué dans le milieu de la musique en côtoyant souvent la première division indé, en force d’appui ou lui-même en rêveur les yeux grands ouverts au contact d’un monde qui continue de le fasciner pour ce qu’il offre de plus magique : la musique. C’est cet amour des musiques chantées, braillées, susurrées, qui soutient l’édifice et nous rassemble autour de ces confessions badines. Le confinement a accru la sensibilité aux choses qui sont temporairement rendues inaccessibles : l’électricité des guitares, les ambiances surchauffées, les bières, les filles qu’on croise et décroise.

Le Premier roman que j’ai écrit parle d’un premier roman écrit à l’âge de 14 ans autour du cadavre d’un jeune punk. L’auteur explique qu’il écrivait exclusivement en écoutant du Guided By Voices, que lui est venu à peu près à ce moment là son goût des musiques « mal enregistrées ». « En vérité, écrit-il, il y a une (autre) partie de moi qui craint la perfection. » Le livre y échappe mais de justesse : quelques pièces sont un peu moins bien tournées et ne fonctionnent pas comme elles devraient car plus générales ou moins claires quant à l’impact personnel qu’elles dévoilent. La perfection ne s’atteint pas et ne se vend pas sur le Bon Coin, pas plus qu’elle ne dépend du nombre de pages.

« Le monde se divise en deux. Ceux qui distribuent les flyers. Et ceux qui les refusent en rentrant ou sortant de la salle de concert.  » Adrien Durand, en bon auteur pop, épingle des phrases, des développements qui frôlent le génie. Ces instants glanés, et finalement assez nombreux ici, sont comme des chansons pop : anodins mais quasi éternels. Son livre n’est pas grand chose à l’échelle du monde et de la littérature mais il contient des pépites d’infini qui sont bonnes et sucrées comme celles qu’on trouve dans les cookies au chocolat.  Il vaut plus que le coup.

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