On n’aime pas tant que ça parler des bandes originales de film sans avoir vu au préalable les images qu’elles accompagnent. Les circonstances font toutefois qu’on n’a pu regarder que quelques clips de présentation du film de Naomi Kawase, réalisatrice chouchou des festivaliers internationaux (le film était en compétition officielle à Cannes, cette année, ou aurait dû l’être), et qui adapte ici un roman de l’écrivain japonais Mizuki Tsujimura. Comme on n’a pas lu le livre non plus, cela fait de sérieux handicaps avant d’aborder cette critique. True Mothers raconte (c’est la feuille de presse qui le dit) « l’histoire d’un jeune couple qui, après une longue et douloureuse expérience du traitement de l’infertilité, décide d’adopter un enfant. Six ans après l’adoption, ils reçoivent un appel téléphonique menaçant d’une femme qui prétend être la mère de l’enfant » et qui les fait chanter.
Sur ce pitch intéressant, entre portrait intime et polar, le maître pianiste Akira Kosemura (qui lui a sûrement vu le film!) a travaillé étroitement avec la réalisatrice pour composer une bande son à haute teneur émotionnelle et qu’il a « refaçonné » en deux temps après avoir eu accès au montage final du film. On image dès lors que les 19 plages qui sont sur le disque suivent pas à pas un récit qui, d’après les critiques, monte crescendo dans les tours mystérieuses avant de s’achever sur une note d’espoir. Kosemura aborde l’exercice avec ses atouts habituels, mêlant sonorités d’ambiance synthétiques et intensité du piano solo qui, à la production, se détache et semble résonner depuis la chambre d’écoute elle-même. Tout n’est pas qu’affaire de production mais le son de Kosemura a ses spécificités. Le doigté l’emporte presque partout, délicat et plus minimaliste que jamais. The Doubt est une pièce splendide hésitante et qui comme son nom l’indique n’ose à peu près rien. Elle ouvre sur 1 minute et 28 secondes de pure beauté avec la plage 3, After Diagnosis, qui est sûrement le plus beau thème qu’on croisera ici. S’il n’y avait qu’une plage à retenir, on se gorgerait de celle-ci tant elle concentre ce que Kosemura fait à la perfection : souligner une émotion intérieure si ténue et contenue que le visage ne s’en fait même pas le reflet.
True Mothers parle d’amour et d’harmonie. Les plages apaisées sont légères et aériennes comme Satoko and Kiyokazu I ou carrément bucoliques comme le cristallin To The Forest. Le jeu de Kosemura y apparaît délesté de toute mélancolie, reflétant une joie qu’on imagine pure et vierge, associée sans doute à la maternité. Lorsque surgit la soi-disant mère biologique et sa réclamation, l’album vire de bord. Une idée noire naît avec First Time et vient déranger le cours de la vie d’enfant, entre école (Go On Board, on suppose toujours) et confort du foyer (Our Home, merveilleux et chaleureux comme un feu de cheminée). Kosemura passe un peu rapidement (mais peut-être est-ce le film qui veut ça) de l’harmonie à l’inquiétude sur un First Cry lourd et souligné de cordes graves. L’attaque de Satoko et Kiyokazu II est remarquable et fait regretter amèrement la limite de l’exercice. Chaque morceau est en effet (BO oblige) limité à une ou deux minutes aussi prometteur soit-il. On aurait rêvé que S et K II ait plus d’espace pour asseoir la tristesse de son thème.
True Mothers est une bande son qui, à quelques exceptions près, travaille dans la discrétion et la contre-touche. Ceux qui préfèrent Wagner et les BO à la Hans Zimmer iront bien sûr voir ailleurs. L’univers du compositeur japonais occupe les espaces intérieurs, déploie sa complexité dans un mouchoir de poche, en mouchetant et en crochetant d’une note tombée les serrures du coeur. Le territoire exploré n’en est pas moins vaste. See The Light of the Day est lumineux et matinal. Kosemura convoque des instruments à vent pour écarquiller les yeux. Le final (plus ample et ouvert sur cinq bonnes minutes) est une belle leçon de composition.
True Mothers ne constitue pas une oeuvre majeure pour le compositeur, même s’il semble y avoir passé du temps. Mais c’est une belle offrande de fin d’année pour les fans et les amateurs de BO minimaliste, un disque émouvant et sensible qui donne une envie folle de voir le film qu’il illustre.
02. The Doubt
03. After Diagnosis
04. Satoko and Kiyokazu I
05. Hikari I
06. To The Forest
07. First Time
08. Hikari II
09. Go On Board
10. Our Home
11. First Cry
12. Satoko and Kiyokazu II
13. True Mothers – Theme Variation
14. Hikari III
15. Island Song
16. Asato’s Memory
17. See The Light of The Day
18. Please Dont Ever Forget About Me
19. True Mothers
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