Al’Tarba / Bad Acids & Malicious Hippies
[Cylid / I.O.T Records]

8.4 Note de l'auteur
8.4

Al’Tarba - Bad Acids & Malicious HippiesQuelques mois après l’impressionnant La Nuit se Lève, Al’Tarba revient avec un bien étrange single de Noël constitué de deux longues plages de musique instrumentale, de samples et d’ambiance : un EP formidable, inattendu et qui, dans son édition vinyle, fera un excellent cadeau de Noël pour à peu près toutes les catégories d’âge.

On ne le dira jamais assez mais ce gars est un virtuose du tissage d’ambiance, le prince du beatmaking et sur ce coup-là un sociologue de première envergure. Bad Acids & Malicious Hippies investit un territoire que le Toulousain n’avait pas travaillé encore, à la croisée des ses travaux dark-hip-hop et de ses livraisons plus atmosphériques ou abstract. C’est à la fois dense, roboratif, divertissant, infiniment riche et tout aussi inquiétant qu’à l’accoutumée. Les deux plages de plus de minutes entreprennent une radiographie sonore assez géniale des années 70. Annoncé quelques jours avant la mort de Charles Manson, Bad Acids & Malicious Hippies tombe pour le coup plutôt bien pour enterrer le mythe des années 70 et en présenter une dernière fois les différentes facettes. La vision d’Al Tarba de ces années-là est marquée par la folie et la désagrégation engendrée par la consommation de substances chimiques. Les titres sont hantés par des visions d’horreur, des séquences psychédéliques cauchemardesques ou qui foutent les jetons. La première face suggère une confusion totale où se mêlent des souvenirs de la Vieille Europe (des samples du cinéma italien de l’époque), une ambiance de films d’horreur et des décrochés violents renvoyant à ce mélange écartelé entre l’âge des drogues, de la libération sexuelle « à l’américaine » et les vieux fantômes et entraves de l’ère classique. On se balade ainsi dans un univers tordu, fascinant, mais aussi élégant, ni tout à fait moderne, ni tout à fait futuriste. L’univers de la face A du EP n’est pas si différente de certaines séquences croisées sur le long format du musicien. L’époque est envisagée comme un long tunnel, où l’espoir n’est pas absent (écoutez la dernière minute de la face A, rayonnante et absurde de guitares) mais où psychédélisme rime (mal) avec schizophrénie.

La face B s’appréhende comme un trip au LSD, un voyage intérieur où l’on trouve des échos Beat generation, de Burroughs, des accents jazzy ou world. On prend conscience avec Al’Tarba que c’est vraiment à cette époque que le monde se fragmente et que deux univers vont diverger, deux cultures vont dériver tels des continents sur des plaques différentes. Jim Morrison chante Break On Through comme un fantôme malade, dernier symptôme dingue et lointain d’une époque qui s’est globalement ratée. Le titre rend à la perfection ses oppositions de force, ces simultanéités multiples qui se renvoient, s’entrechoquent ou s’opposent. On entend du punk, du jazz, du shred, des samples d’éducation pour la santé (comme chez Black Reindeer), des développements sur les skins, l’arrivée du dub à la Clash, matrice sonique du jeune Al’Tarba, sans savoir si tout ceci peut réussir à sauver quoi que ce soit. Bad Acids & Malicious Hippies est magnifique car il donne à voir et à entendre en un condensé d’une vingtaine de minutes l’histoire des cinquante dernières années. Il agit comme un précis de désorientation sonore à l’intention des jeunes générations. C’est à cet instant que le monde actuel est né, c’est-à-dire s’est mis à exploser en chapelles, en bad trips successifs, en tribus et en instances, commerciales, politiques ou religieuses. C’est aussi à ce moment-là que naît avec la musique, avec le psychédélisme, avec le mirage du cinéma et des drogues mêlés, l’hypothèse d’un salut par la culture, d’un échappatoire par la déraison et le décryptage sonique. Burroughs contre Giscard d’Estaing.

Ce EP est non seulement une tuerie sonique mais l’un des disques les plus intelligents et instructifs de l’année 2018. On a les prophètes qu’on se donne.

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