Bien sûr que les vagues se ressemblent. Les traces de pas dans la neige, l’empreinte des nuages dans le ciel. Et pourtant, sœurs, toutes différentes et uniques. Il faut beaucoup d’attention et le sens de la poésie pour réussir à s’en convaincre. Les chansons de Motorama sont de la même farine. Enregistré sur le second semestre 2020, bouclé dans les premiers jours de janvier, le nouveau disque du groupe emmené par Vladislav Parshin s’émancipe de son label découvreur Talitres pour voler de ses propres ailes (I’m Home Records). Le disque n’est proposé pour le moment qu’en version numérique et est apparu sur le bandcamp du groupe sans aucune véritable annonce, ni commentaire. Il avait été précédé par la sortie de trois singles, à la volée et du jour au lendemain.
Qu’importe : le temps des intermédiaires a vécu. Motorama n’a jamais vraiment commenté sa musique. Ses textes parlent de ce qu’on voit par la fenêtre (une fenêtre de Rostov Sur le Don), des paysages et du temps qu’il fait. C’est ce qu’a toujours prétendu Parshin. Avec les sept nouveaux titres de Before The Road, Motorama prolonge avec une obstination sublime son mélange de pop synthétique soviétique en anglais, de guitares cristallines et de post rock 80s tel que décliné sur Many Nights ou avant ça Dialogues et Poverty. Plus on avance dans l’œuvre et plus celle-ci est non seulement reconnaissable entre mille mais évolue dans son propre référentiel artistique. Motorama manie l’art de la redite, de la répétition avec une manière qui jamais ne lasse. On retrouve ici les climats sombres et brumeux des albums précédents, la sophistication paysagère (parle-t-il du printemps, de l’hiver) des premiers temps, la délicatesse inquiète et la fraîcheur du regard de la première rencontre. Before the Road est un album qui suit presque littéralement le sens de son titre. C’est un album de voyage et de déambulation paisible. L’étoile y apparaît comme un motif récurrent. C’est elle qu’on voit dans le ciel quand on lève la tête. On la croise sur la route, sur la mer, juste au bout du chemin. Sur le magnifique Sailor’s Song, le titre 5 du disque, on se croirait chez Herman Melville. « My bride is the depth/ The sea that gave me a wedding ring. » C’est d’une beauté phénoménale, d’une simplicité fragile et d’une évidence presque aveuglante. Tous les sens sont convoqués sur trois couplets magiques : le froid contre le chaud, le parfum des vagues, le vent qui gonfle les voiles et puis ce baiser déposé par la mer sur le front du marin, qui marie et anéantit. « Do you hear it ? Do you hear it ? The song of the sailor. » On pourrait penser que sur cette seule chanson, Motorama atteint une sorte d’apogée esthétique. Mais le prodige se répète de titre en titre, avec une grâce presque folle. Les étoiles s’alignent sur Voyage (titre 4), démarré comme en pilotage automatique. Voici l’exemple d’un titre sans qualités ou presque. La mélodie n’est pas grand-chose. L’accompagnement ne vaut guère mieux qu’un tunnel de nuit. Motorama masque la misère avec une nappe synthétique qui vient s’entortiller autour de la basse et fait basculer le morceau dans une autre dimension. On a l’impression que le rideau s’ouvre et découvre une baie sur la mer. « From the Red Square to the Zocaldo, better late than never/ City Lights are far below. » S’agit-il d’une nouvelle destination ou d’un simple retour au bercail ? Le protagoniste tel Ulysse ne sait s’il est mort ou vivant. Le voyage continue et dure autant qu’il fascine et ennuie.
Il faut écouter Pole Star (piste 2) pour que le tempo s’accélère à la poursuite de l’étoile du Nord. Le chant de Parshin est plus grave qu’à l’ordinaire, exprimant une forme de la lassitude mais en même temps l’espoir attaché à la quête. Les images sont presque ordinaires, faites de neige, de navigation arctique, de promesses de retrouvailles. Mais il se dégage de ce morceau un sens de la nécessité qui hypnotise et rend le titre indispensable. Les guitares de Motorama racontent des histoires dont on meurt de connaître la fin. Ce sont elles qui donnent le sens de tout ça et l’escamotent à chaque fois qu’on croit avoir déniché quelque chose. Sur Azure Height (titre 3), la rythmique semble s’emballer avant d’être rejointe par le chant pour appeler au changement et à la transformation. Les chansons se ressemblent. Elles manient exactement les mêmes instruments, les mêmes éléments, les mêmes accords. Mais elles n’ont rien à voir les unes avec les autres. Azure Height est tournée vers l’espérance, religieuse, sacrée. « Sun at the zenith, cranes in the sky/ the dead will return/ and we will not die. » L’image est splendide. S’ouvre le renaissance.
La concision de l’album est épatante. Les sept pièces sont toutes calibrées autour de trois minutes et trente secondes. Le tout emballé en vingt-cing minutes. Seule Voyage dépasse les quatre minutes. Motorama ne se perd jamais en intros trop longues ou en conclusions qui ne veulent rien dire. Les titres évoluent au trot et prennent pourtant leur temps. Ils sont animés par une pulsation de vie qui va souvent droit au but. « Life is breathing where it wants/ All around you », chante Parshin sur Up. Le clavier sonne vraiment rétro et ne rend pas tout à fait compte de la vie qui grouille. Le synthé pétille de malice et suggère une élévation qui confine au psychédélisme galactique plus on s’approche de la fin du morceau. Up est peut-être bien le seul point faible du disque. Little Mystery nous ramène au point de départ : quelque part où se mélangent les objectifs individuels, les rêves, les aspirations au changement, l’espoir, le doute et la crainte de l’échec. Le futur y est esquissé de manière brillante et inspirée, sombre et bâti sur le re-souvenir, mais non dénué de bienveillance et de séduction.
Before The Road est un album fait d’incertitude et de flânerie. Parshin se pose des questions et il n’est bien sûr pas le seul. Dans la période actuelle, celle de l’écriture et de la réception du disque, la manière dont le groupe s’adresse à nous est éminemment réconfortante. Le disque dégage de la sérénité dans le doute, pointe une étoile dans le ciel, indistincte et incertaine, quand on pensait qu’il n’était fait que de nuages noirs. A l’image de sa couverture signée Alexander Fedotov, c’est un bonheur simple, palpable mais transcendant. Du bel ouvrage en somme.
02. Pole Star
03. Azure Height
04. Voyage
05. Sailor’s Song
06. Up
07. Little Mystery
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Motorama se donne une autre chance
Bonjour,
Bravo pour votre très bel article. Je partage avec vous les émotions et les sensations émanant de ce nouvel album de Motorama. Dommage que le groupe ai décidé de quitter Talitres. A mon sens la production et le mix s’en ressentent d’ailleurs et on peut parler d’un EP de Many Nights plutôt que d’un réel nouvel album.
Merci. Je n’ai pas lu grand chose sur ce départ de Talitres et pas mené l’enquête. Le groupe a l’habitude pour ses autres projets d’y aller en solo et je pense que c’était réellement une volonté de Parshin de monter un label et de tenter sa chance de cette manière dans une période où le soutien d’un label modeste n’a pas forcément grand sens. La production ne m’a pas semblé inférieure aux précédents disques. Album ou « gros » EP ? Là encore, je n’en sais rien. La communication autour du disque a été pour le moins minimaliste.
Merci pour votre article .
J’ai eu la chance de les voir deux fois en concert dans des conditions privilégiées ( de très petites salles , dont un garage à vélo à Dijon ) et j’ai été impressionné par la présence du chanteur . C’est d’ailleurs ce qui me gêne un peu lorsque j’écoute les disques du groupe : je ne ressens pas cette intensité dans la voix .
C’est vrai que la voix est peut-être un peu en dessous de la mix sur leurs albums mais l’équilibre guitares/voix reste splendide et permet de vibrer comme on le ferait sur scène. C’est plus poétique qu’intense. Sur scène, Vlad Pashin n’est pas extrêmement expressif mais il y a une force et une manière d’être habité par l’émotion qui sont bluffantes.