bdrmm / Microtonic
[Rock Action]

8.8 Note de l'auteur
8.8

bdrmm - MicrotonicAprès être passée par une période instable voire désagréable dont la durée est variable, la mue, particulièrement chez les garçons (ils sont quatre ici) est un changement radical. Bedroom était l’enfance, cette période insouciante où l’on apprend par mimétisme et reproduction, où l’on créé d’une façon certes brouillonne mais qui ne manque jamais de faire s’extasier les grands ; on avait adoré la fraicheur de ce premier album pourtant pas bien original. I Don’t Know était alors le disque de l’adolescence, ce temps incertain où l’on tient à se distinguer tout en cherchant plus que jamais à faire partie du groupe. Ce temps des essais stylistiques, ici une coupe de cheveux audacieuse, là une tentative vestimentaire aléatoire et des goûts qui évoluent au gré des rencontres. Ce temps des expériences pas toujours heureuses mais qui laissent entrevoir les prémisses de l’adulte que l’on va devenir. Un second album qui laissait un goût d’inachevé, de bonnes idées pas assez poussées, des morceaux plaisants et corrects mais dont on savait qu’ils peineraient à rentrer dans l’histoire, celle du rock évidemment, un tant soit peu objective, mais surtout celle plus intime qui répond à des canons pas forcément aussi exigeants mais plus axés sur les émotions procurées à un moment donné, une rencontre délicieusement opportune, sauf qu’elle n’a pas eu lieu. Alors, et si Microtonic était l’album de la maturité de bdrmm ?

Une chose est sûre, les anglais du nord ont opéré leur mue. Après des débuts à naviguer entre post-rock mélodique et dreampop bruyante, le groupe de Hull s’était engagé en même temps qu’il entrait dans la maison Mogwai, chez Rock Action, dans une musique hybride, tentant de faire cohabiter de manière parfois bancale et sur la longueur pas toujours convaincante leurs envie de shoegaze et leurs inspirations électroniques. Les voilà à présent presque débarrassés de leurs oripeaux noisy pour plonger tête la première dans un grand bain synthétique, reléguant la plupart du temps leurs guitares au second plan. Sans doute ce qu’il manquait sur I Don’t Know, cette envie d’aller au bout de leurs idées, chercher à garder des structures mélodiques conçues pour l’électricité mais en s’en défaisant dans les grandes largeurs. L’idée n’est pas neuve, c’est entendu, mais elle ramène particulièrement ici à quelques autres de ces grands disques de l’intime arrivés à un moment idoine au premier rang desquels figure le très grand Crooping The Aftermath d’Epic45. Il faut dire que c’est toujours plus simple quand on n’attend pas grand-chose d’un disque, quand on sait qu’au pire, le plus élevé des risques est juste d’être vaguement déçu : tout le reste est bon à prendre voire relève de la bonne surprise que l’on se refusait d’attendre.

Voilà ce qu’est d’abord Microtonic : une très bonne, voire une excellente surprise. Pourtant, il est toujours question d’hybridation. Les structures demeurent celle de chansons rock, mélodiquement solides et intenses mais bdrmm joue à la perfection entre ce que l’on attend et ce que l’on entend. Le plus souvent au sein d’un même morceau, la rythmique se conjugue indifféremment aux sons d’une vraie basse traitée ou d’une basse électronique profonde tandis que pads électroniques et rythmes programmés se disputent la bonne tenue du tempo ; et quand la batterie, la vraie, résonne, c’est alors pour tenir la cadence d’un breakbeat endiablé voire d’un drum’n’bass adouci. Et tout cela parfois au même moment, en d’intenses couches superposées sur une production d’une enivrante densité sonore. Même traitement pour les guitares qui, à quelques exceptions près, ne sont que nappes vrombissantes qui, au même titre que leurs homologues de synthèse, bâtissent ce substrat d’une belle richesse des dix titres d’un disque qui s’avère vite passionnant.

Produit par un Alex Greaves qui fait quasiment office de cinquième membre tant il est impliqué dans le processus, Microtonic est de ces albums dont on apprécie d’emblée la forme, mus par une ligne conductrice particulièrement cohérente mais qui laisse à chaque titre la liberté d’évoluer dans leur propre univers, créant ainsi une belle diversité de moments particuliers. Goit est une entrée en matière inquiétante avec ses synthés fantomatique qui tourbillonnent, son beat martelé resonnant sur la voix sombre de Sydney Minsky Sargeant de Working Men’s Club. On n’y était pas habitués mais bdrmm nous sort là un classique d’EBM à la fois oppressant et jouissif. Moins sombres mais tout aussi intenses, John On The Ceiling, Snares ou Lake Disappointment sont de véritables chevauchées drum’n’bass ingénieuses sur lesquelles le travail de rythmique relève d’une précision mécanique plus suisse que britannique. Pout autant, rien n’est sacrifié, surtout pas leur versant le plus pop, offrant à chaque fois des mélodies limpides et convaincantes. Alors, pour compenser cette frénésie, de temps en temps, le groupe se ménage aussi des temps de repos avec des titres plus downtempo comme Infinity Peaking ou Sat In The Heat qui offrent de jolis sas de respiration.

Bien sûr, on ne se débarrasse pas aussi simplement de ce que l’on a été et l’électricité n’a pas non plus complétement disparu. Le bien nommé In The Electric Field débute avec les spoken words sombres et envoutants de la chanteuse Olivia Christine Rees aka Olivesque avant de s’envelopper dans un nuage de coton shoegaze tandis que Microtonic est assez clairement un hommage à leurs hôtes écossais, commençant sur quelques notes de claviers semblables à celles que l’on retrouve régulièrement sur les disques de Mogwai depuis des années ; des notes qui tournent en boucle avant d’être recouverts d’un mur de guitares de toute beauté. Mais c’est sans conteste sur Clarkycat puis le somptueux final The Noose qu’il faut chercher les sommets épiques (45) d’un album qui ne manque pas d’atouts. Sur le premier, après une première partie d’une jolie sensibilité préparant bien à la suite, on ne se laisse emporter par une seconde partie de haute volée, du genre à vous soutirer des frissons avec ses synthés tourbillonnant de concert avec des guitares rarement aussi cristallines. Quand au second, il nous fait passer d’un ambiant céleste à une techno pop d’une profondeur abyssale qui renverrait presque The Orb, les maitres du genre notamment sur leurs classiques des années 1990, à leurs études.

Il est sans doute difficile d’affirmer de façon péremptoire que Microtonic serait donc l’album de la maturité ; après tout, à moins d’en faire une affaire démesurément sérieuse, le rock reste une histoire de grands enfants qui n’ont jamais trop intérêt à se prendre pour ce qu’ils ne sont pas. Ce qui est certain en revanche, c’est que sur ce troisième album, bdrmm semble s’être trouvé une voie médiane qui ici lui convient comme un gant. En appliquant à leurs compositions nées pour le shoegaze un habillage plus électronique, entre ambiant et rythmiques technoïdes plus radicales, les anglais affirment clairement une personnalité engagée plus marquée qui, à défaut d’être tout à fait novatrice, parvient à rendre leur démarche plus cohérente, intéressante voire passionnante. L’important dans la mue, ce n’est pas ce qu’on a été mais ce qu’on va devenir. Après un second album bancal, bdrmm se et nous rassure sur sa capacité à évoluer en explorant de nouvelles pistes : l’avenir est bien devant.

Tracklist
01. goit
02. John On The Ceiling
03. Infinity Peaking
04. Snares
05. In The Electric Field
06. Microtonic
07. Clarkycat
08. Sat In The Heat
09. Lake Disappointment
10. The Noose
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