Commençons par évacuer la question qui fâche, ça sera fait. Quand il y a quelques mois on relayait avec grande envie la sortie de Pure Intention, annoncé comme le premier extrait du nouvel EP de Cosmopaark à venir en octobre, on s’imaginait déjà l’automne venu avec un magnifique 12″ noir de jais en main voire, soyons fous, un encore plus beau 10″. On se voyait déjà sortir des rayonnages pour l’occasion les autres merveilles de cette grande famille transgénérationnelle pour les jouer à la suite, ces maxis fondateurs de Ride ou de Slowdive, les quatre Moose pré-…XYZ, le surexcitant 45 de Revolver (qui s’en souvient encore ?) ou les magnifiques Love In The Emptiness et Liar de The Charlottes. Bref, on voulait entendre Backyard vrombir sur la sono avec ces ainés, emmerder les voisins, reprendre des cours d’air batterie ou d’air basse en chantant en yaourt comme si on avait de nouveau 20 ans comme en 1992. Hélas, à moins d’être fan de cassette et d’avoir été l’un des 50 plus rapides, il faudra vous contenter d’impalpables streams ou fichiers numériques qui pourront le cas échéant cracher leurs bits compressés sur votre sono mais finiront plus probablement dans un casque ultra basse ou une enceinte portable méga boost. Vieux con nostalgique ? Soit, mais l’histoire de la pop bruyante ne s’est pas arrêtée nette comme une tarentule écrasée sous la semelle d’une grosse godasse post-rock et a continué de se développer pour aborder fièrement le XXIe siècle grâce à des labels comme Clairecords, Club AC30, Sonic Cathedral ou Captured Tracks. Difficile donc de parler de revival nostalgique mais faisons avec la n-ième vague de la crise du disque et vivons avec notre temps, c’est bien aussi ; sans compter que ça coute moins cher et prend moins de place.
Il faut s’y résoudre mais franchement, quelle allure aurait eu Backyard, le disque, quand on écoute Backyard, le EP ! Disons-le de suite également, comme ça, ça aussi ça sera fait : cet EP est une formidable réussite. Si on se souvient non sans émotion de la découverte pré-pandémique du groupe sur scène et de son premier maxi tout jaune tout mignon, Sunflower, on mesure surtout aujourd’hui le chemin parcouru. Début 2020, ce petit CD avait les défauts des premiers enregistrements mais, comme c’est finalement souvent le cas, on se demandait aussi devant une telle fraicheur si le tout jeune groupe parviendrait à aller au-delà des déjà entichant Drive ou Mr. BigYellowSun. And I Can’t Breathe Enough, leur premier album apportait une réponse cinglante sous forme de grand oui : il était donc possible en 2023 de faire une musique à la fois datée et résolument moderne. Exactement de la même façon que de jeunes apprentis se laissent révéler les secrets de leurs patrons artisans pour, plus tard, perpétuer puis moderniser le geste, Cosmopaark, laborieux et appliqués ne cessent de travailler leur matière pour la faire évoluer et grandir avec elle.
Pour le point d’étape que constitue Backyard, c’est comme de plus en plus souvent vers la côte landaise que les bordelais se sont laissés glisser, accueillis comme il se doit par l’un des binômes les plus attrayants du moment, Johannes Buff et Pierre Loustaunau (aka Petit Fantôme évidemment). Un choix loin d’être anodin car si les deux premiers disques du groupe se révélaient, hormis les questions de production pour le premier, assez bruts et sourds, il en va tout autrement des cinq titres de Backyard. Évoquer l’orfèvrerie en matière musicale est toujours un peu bancal mais il est clair ici que le duo est parvenu à faire passer Cosmopaark dans la dimension du détail, en plus de la bouffée d’air frais qu’un enregistrement en bord de mer ne peut qu’apporter. Les cinq titres du maxi recèlent de petites trouvailles épatantes, d’arrangements que l’on n’avait pas encore entendus chez le trio bordelais, apport incontestable de la production des deux compères du Shorebreaker Studio, fruits de recherches minutieuses, d’accidents heureux que l’on s’attèle à provoquer et de volonté de ne plus se limiter.
A vrai dire, ça ne saute pas aux oreilles à la première écoute. On est d’abord emballé par cette noisy parfaitement en place, mélodiquement racée, bien dans les codes du genre avec ses trémolos distordus qui agissent comme des vagues soniques. Starve en introduction n’a certes pas été choisi comme single mais c’était pour conserver l’effet de surprise tant il a déjà tous les atouts d’un véritable classique du genre. Mais, comme on l’avait déjà remarqué sur Pure Intention, on est vite frappé par le traitement réservé à la batterie, ici dédoublée, là substituée par une boite à rythme le temps de l’intro. On remarque aussi ça et là d’inédits claviers qui, bien que parfois relativement discrets (le très beau refrain de Olive Tree), finissent par dessiner une jolie toile de fond, en particulier sur Tiny Shelter qui conclut le EP dans un calme et une sérénité assez inhabituelle, ouvrant clairement un nouveau champ d’écriture pour le trio. Et puis il y a la voix de Clément Pélofy certes parfois encore un peu so frenchy, mais gagnant petit à petit en assurance sans perdre son apparente fragilité qui en devient un véritable atout mélodique quand son timbre léger s’étire au gré des décharges électriques. Comme sur Hole qu’elle surfe fièrement alors que les déflagrations ne cessent d’agiter la seconde partie d’un morceau plombé comme un arcus déboulant dans le fond du golfe de Gascogne.
Alors tant pis pour le disque. De toute façon, Backyard n’est ni la première ni la dernière très bonne production qui ne rejoindra aucune étagère, si ce n’est celles d’une cinquantaine d’amoureux des cassettes audio. Il rejoindra par contre sans peine le cœur des amoureux d’un genre qui trouve avec les bordelais peut-être l’un de ses tous meilleurs représentants d’ici depuis qu’il a franchi mer et océan. On ne les compte pourtant plus depuis toutes ces années les efforts des uns et des autres, y compris de façon parfois très confidentielle pour parvenir à se mettre au niveau ; beaucoup de choses anecdotiques, des promesses non tenues, des histoires bien parties mais rattrapées par les aléas de vie de jeunes adultes. Cosmopaark aujourd’hui semble se donner les moyens d’exister, de structurer sa démarche, son entourage et quand on écoute Backyard, on a juste très envie d’y croire.