Alma Real / Post-it
[Cœur sur toi Records / XO La Factory]

7.9 Note de l'auteur
7.9

Alma Real - Post​-​it Il n’y a rien de plus beau que de voir les bluettes bourgeonner en cette période de l’année : les regards rêveurs traversant les diabolos menthe, les mains moites qui s’empoignent, les visages ruisselant de larmes.

Alma Real vient de sortir un petit EP aux flagrances d’adolescence. Post-it nous convie à un flirt immédiat entre nous et notre propre version juvénile, un regard que l’on porte sur soi uniquement avec bienveillance. En 4 titres, le groupe pousse à ne conserver que le meilleur de cet âge que l’on pense trop souvent ingrat : le vernis des premières fois.

Alma Real, c’est quatre garçons ayant lancé leur groupe en 2016. Depuis, deux albums sont nés de ce ménage à quatre : Yellow Valey Tales, album indie mêlant intelligemment rock et pop guillerette, l’ensemble étant assaisonné d’une cuillerée de shoegaze et d’une lichette de surf music ; puis La Montagne de l’Oiseau Bleu, un album plus rock californien, nappé au psyché. Le collectif a vraisemblablement été influencé aussi bien par les Simple Minds que les gros bonnets de la surf. On ne va pas vous mentir : c’était de très bonne facture, à destination des cool kids, ces beaux bruns et ces belles blondes qui courent avec grâce vers l’écume des jours, au ralenti. Cela vous fout une pêche d’enfer, et vous donne une envie d’embrasser le monde.

La vie en rose bonbon

C’est donc avec plaisir que l’on dépapillote cet EP rose bedroom pop. Dès Milkshake, on repart chez nos parents pour se lover dans notre lit. Nous reviennent les senteurs des affichettes d’Indochine et de The Cure, de la colle sur nos murs mauves. Ça y est : nous sommes redevenus la jeune fille de 14 ans que nous avions oublié. L’amour peut se penser sans chair à cet âge, même si l’envie réside toujours dans un coin en nous, à l’affut d’un jeune inconnu. On se languit sur nos polochons, la tête vers un ciel de 4h, juste avant de passer aux devoirs. Nos pensées vont aux anonymes de vacances qui se profilent. Pour tromper l’ennui, on inscrit sur un pense-bête, que l’on cache soigneusement dans un tiroir, le nom des garçons de la classe que l’on trouve gracieux : le gentil cancre « Alexandre Pochon », le mystérieux « Baptiste Hinguant »… Les mecs, eux, entourent un « Je t’aime Mathilde » d’un tendre cœur de graffiti dans les toilettes des filles. Adultes, on essaie de réciter leur nom, de se remémorer les œillades en cours, les bouches partageant une limonade sur la terrasse d’un café. Voilà, c’est « l’effet Post-it« . Les paroles sont simples et naïves comme le sous-tend l’éphémère à cette saison de l’existence :

Tu me donnes du plaisir sans jamais me toucher
Était-ce un rêve ou voulais-tu m’embrasser […]
Tu es mon roc, mon pilier mais au cœur de pierre
Ta douceur se révèle après quelques verres

Avec Summer Spleen, on gravit la vie et entrons dans l’âge adulte. Les étés passés et à venir à la maison de vacances refluent en nous. Quand on écoute les paroles du chanteur, on pense à la pureté des sentiments d’un Étienne Daho (période Tombé pour le France) et – on ne se sait si ce sont les guitares porteuses d’espoir qui nous font cet effet – aux mélodies synthpop de Giorgio Moroder (le pont musical de Push It to the Limit ou la piste Shake It Up, produites respectivement pour Paul Engemann et Elizabeth Daily et figurant dans l’OST de Scarface). On songe à l’oisiveté des siestes dans les hamacs, à ces jeux de regards au bord de la piscine, aux bécots de la fête du village des Cévennes, après le fameux tour d’auto-tamponneuse planifié à l’avance. Cette ficelle marche à tous les coups. On badine et on se plaît à croire en la promesse d’un bout de vie passé ensemble. Même si les guitares sont de la fête, un véritable virage  électronique est pris par la troupe : des sonorités électroniques aux teintes nostalgiques, un clavecin pétillant aux oreilles, des nappes douces nous enveloppant dans nos draps frais. Tout est là pour réveiller la midinette sommeillant en nous.

Post-scrotum : ich liebe dich

Aucune pointe d’ironie ou de sarcasme, ni once de méchanceté dans cet EP. Il y a une virginité sentimentale, celle des émois immaculés, à coups de mignons « L’air est al dente, la vie va piano » et de « chabada bada mon cœur […] bat la chamade« . Dans Paradiso, les notes de synthé sont pleines d’une guimauve excessivement sucrée, mais coupées par une voix ne faisant qu’une avec la mélodie, allègeant l’ensemble. On pense aux postures mélancoliques des The Korgis dans ce Paradiso, mais sans une seule goutte de pathos. En fait, et 60 secondes viendra nous le confirmer : c’est de la mélancolie heureuse dont il s’agit ici, qui confine au merveilleux pour une époque comme la nôtre ; celle des nuits à lune passées avec l’être aimé, avec comme unique inquiétude que le manège s’arrête. Car si les vacances ont une fin, les sommeils ont leur réveil.

Soudain, la peur de voir la saison s’achever nous saisit. On pourra déplorer quelques redondances dans les paroles (« parfum d’éternité« ), ou de leur excessive simplicité malgré le fait qu’elles fassent un avec leur sujet. Mais le groupe a compris que la France avait besoin de confiseries et de légèreté. On s’amusera alors alors à réécouter cette petite dragée qui a les qualités de ses imperfections, quand on prendra la route pour une fin de semaine à Toulouse, à défaut d’un week-end à Rome.

D’ailleurs, nous congratulons le rock band à ne pas avoir céder aux sirènes de l’anglais, la langue se prêtant au genre. Les réminiscences affleurent avec Post-it, et c’est une occasion de se réconcilier avec soi, de réveiller des morceaux de mémoire somnolents. Ces souvenirs insignifiants qu’on attrape à la volée, et dont la durée de vie ne dépasse celle d’une libellule. On aurait aimé une plus grande rigueur qui prévalait pour les premiers albums, mais, voilà : ce n’est qu’un EP, et un EP qui fait la différence. La shoegaze romantique d’aujourd’hui se fait si facilement, avec un tel soucis de sophistication – comme  celle de Lush ou Living Hour – que l’on se sent rapidement noyé par des instrumentales toujours plus complexes. Alma Real, lui,  privilégie la candeur et l’honnêteté, un peu comme l’ont toujours fait les français, en transformant leurs petites carences en charmes. La musique d’Alma Real se mâche comme un chewing-gum, légère comme une bulle qu’on refuse d’éclater. En attendant, nous restons docilement à buller près du transistor. Et jubilons à la possibilité d’un 3ème rendez-vous, avec les garçons, pour – enfin – partager un lait glacé au sirop tant désiré.

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