Burial / Antidawn EP
[Hyperdub]

8.6 Note de l'auteur
8.6

Burial - Antidawn EPL’après tout : c’est ainsi que sonne la musique de Burial désormais, mystique, énigmatique, sublime et divinement aérienne. Depuis son premier album en 2006, le musicien anglais William Emmanuel Bevan a toujours pris soin de s’entourer d’une forme de mystère. L’homme a longtemps tenu à son anonymat, cette dissimulation conférant à son mélange de dubstep, d’ambient et de trip-hop une aura tout à fait particulière. Ses deux albums sont des modèles du genre, futuristes, énigmatiques et insondables. Antidawn, présenté comme un EP alors qu’il affiche plus de 44 minutes de musique, soit une durée plus proche du format LP, agit avec la même force et une intensité jamais atteinte par l’artiste.

Ce qu’on trouve sur ce disque est assez difficile à décrire et relève d’une immersion pleine et entière dans le son. De manière significative (quand on connaît l’importance de l’instrument et des rythmiques dans le son de Burial), les batteries et les percussions sont absentes du disque, ou quasi invisibles. Les rythmes à deux temps qui donnaient le ton sur ses précédentes créations ont laissé la place à des rythmes invisibles ou évanouis, des traces de syncopes et des marquages effacés, dont d’autres sons propagent la parole : une toux, un souffle, un scintillement. Cette soustraction des percussions place la disparition au coeur du disque comme s’il s’agissait sur ces cinq morceaux de chercher une forme idéale qui fuit à toutes jambes. On retrouve par contre les autres marqueurs qui ont bâti la légende Burial : des collages de voix, sacrées, sensuelles ou quasi grégoriennes, des boucles minimalistes, des mélanges d’électro et d’instruments classiques qui relèvent tant de l’ambient que de la musique sacrée à la Gorecki ou du sérialisme. L’autre matériau essentiel ici est tout simplement le silence, qui ponctue, étreint ou découpe les plages de musique pour les souligner ou les effacer.

Antidawn EP déconcertera ceux qui n’ont jamais aimé Burial et les convaincra que tout ceci n’est que poudre aux yeux et prétention. Pour les autres dont nous sommes, l’immersion confinera à la magie, offrant un voyage (un trip comme on disait au siècle précédent) qui nous ramène au charme de films futuristes et déconcertants comme le cultissime Avalon de Mamoru Oshii en 2001, jamais égalé dans le genre. Les boucles de Burial ont souvent en commun de refuser à l’auditeur une satisfaction facile. Elles vont voir ailleurs dès qu’elles tombent sur un son qui attire une émotion trop vive, ou donne envie de danser. Burial frustre, rit en repoussant toute gratification comme s’il s’agissait à chaque fois non pas de décevoir mais de ne pas s’attarder sur un sentiment durable. La modernité sonne comme une caresse, un souffle, une succession d’états qui défilent et déroulent la bobine du temps. Cela n’enlève rien à la recherche de beauté et d’instants, d’épiphanies et d’éblouissements qui surgissent (pour 5 ou 10 secondes) et éclairent les pièces. C’est le cas presque partout ici, sur Antidawn, par exemple, autour de la minute 7, solaire, ou sur le début d’un Shadow Paradise fascinant et nostalgique. Est-ce que le monde d’antan était meilleur ? Est-ce qu’il a disparu ? Est-ce qu’il subsiste comme une réplique au coeur du monde présent ? Est-ce à ce monde qu’on doit l’état de tristesse dans lequel on évolue désormais ? Burial signe avec New Love une chanson pastorale et sentimentale inédite. Sa version du sentiment est pleine de charme et de légèreté, carillonnante mais assez peu sensuelle, désincarnée d’une certaine façon en même temps que tendre et innocente. Il y a une forme d’abstraction bien sûr qui imprègne les compositions et qui peut être reprochée à l’auteur. L’argument est entendable. Doit-on concevoir que c’est la chair elle-même qui est dépassée par la digitalisation ? Burial est-il voué à agir comme un fantôme dans le reniement de toute présence organique ? Le débat faisait rage déjà au XIXème siècle spirite pour savoir si l’esprit et la matière devaient être distingués de manière stricte ou si (voir Ghosbusters pour la version grand public du sujet), on pouvait concéder à la représentation de l’esprit (spirite) une forme de matérialité et avec laquelle des propriétés inhérentes aux corps (le poids, le parfum, le toucher). La musique de Burial nous ramène à cet endroit précis : est-ce que le flux est un point ou une ligne ? Est-ce que tout ça existe ou pas ? Est-ce qu’il reste de l’humain ?

Antidawn EP fait partie des disques qui ne s’écoutent pas uniquement comme tels. Ils débordent. Ils agissent sur l’auditeur. Ils s’insinuent. Ils questionnent et parfois portent sur eux quelques réponses. Ils détournent et inspirent. Ce n’est pas donné à tout le monde.

Tracklist
01. Strange Neighbourhood
02. Antidawn
03. Shadow Paradise
04. New Love
05. Upstairs Flat
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