Les dates de sortie ne veulent plus rien dire. Les disques s’écoutent dans le désordre et le silence désormais. Enregistrées en juin et août 2019 lors d’une présentation live à la chapelle de l’immaculée conception à Nantes, les pièces qui composent Amor Infiniti n’ont de toute façon ni âge, ni date de péremption. On peut leur donner 6 mois comme 600 ans. Le disque, Amor Infiniti, témoigne de la nouvelle rencontre, quasi sacrée celle-ci, entre le guitariste Manuel Adnot et le Macadam Ensemble, groupe vocal nantais mis ici à belle contribution par le compositeur.
Le disque est composé de quatre morceaux, d’une durée qui varie entre 6 minutes (We Will Meet The Sun) et 23 (Souveraineté du Vide). La pochette du disque donne quelques indications sur l’inspiration qui a présidé à la composition et à ce qui constituait (pour Adnot, si on ne se trompe pas) la première tentative de composer pour un ensemble de voix. Trois phrases de Blanchot, de Kawabata et de Christian Bobin (une formule plutôt cette « souveraineté du vide » qui donne son titre à la pièce la plus fascinante des quatre) servent de point d’appui à cette balade qui fait résonner les sons comme des conques, riches d’être vides, d’une manière inattendue et splendide.
Amor Infiniti renvoie comme son nom l’indique à la musique sacrée, aussi bien classique que contemporaine. On pense au modernisme fluide d’un Sigur Ros mi-figue mi-jazz mais plus sûrement aux ambiances désolées et solaires d’un Arvo Pärt. Il est toujours assez difficile de situer ces oeuvres les unes par rapport aux autres, de voir où se niche l’inventivité et où il n’y a guère que le travail de pâles copistes. La version live des pièces d’Adnot est élégante et élancée, elle s’élève au dessus de la mêlée et porte une vraie aspiration à danser avec les nuages et à se brûler les ailes. Le sentiment d’élévation est permanent, porté par un splendide, mais aussi très pur et finalement très simple, travail sur les voix et les harmonies. L’accompagnement de la 8 cordes d’Adnot sur le premier « mouvement » World Light est impeccable de retenue et parfait pour suggérer cette délicate arrivée de la lumière sur le monde. Cela n’est jamais simple lorsqu’on évolue dans ce registre mais Amor Infiniti établit un joli compromis entre l’abstraction liée à l’approche du divin, le rendu de la Lumière et l’incarnation des corps transcrite par les voix.
Le mélange entre l’instrument et l’organique (les deux relevant de la même sphère du reste) est harmonieux et jamais ennuyeux. L’équilibre de Iceland – Stay Still est plus attendu, moins surprenant peut-être mais tout aussi digne et empli de bienveillance. Le disque est un voyage, chaud et froid comme chez Dante, aveuglant de beauté par moment ou tout simplement ennuyeux par son calme et sa docilité. Il y a peu de mouvements, peu d’éclats, une progression si lente qu’elle en froisse les muscles un à un. Mais aussi une sensation de légèreté qui frise la sensualité. Amor Infiniti est une belle oeuvre religieuse et païenne, un travail reposant et exaltant à la fois. On ne sait pas s’il a été pensé ainsi, mais cet ouvrage là berce, endort et console, en même temps qu’il prête à la rêverie et enchante. On est sûr de surcroît qu’il peut être réécouté de dix ou quinze oreilles différentes, ce qui ne gâche rien.
02. We Will Meet The Sun
03. Souveraineté du Vide
04. Iceland – Stay Still