Il ne faut pas exclure que Charlotte Sometimes soit la plus belle chanson de The Cure. Inspirée à Robert Smith par la lecture d’un roman de Penelope Farmer du même nom, le livre expose assez brillamment l’histoire d’une jeune fille (on est en 1958) qui débarque dans une pension de jeunes filles. Au lendemain de sa première nuit passée dans cet établissement étrange et inhospitalier, la jeune fille se réveille au même endroit mais… en 1918, tandis qu’une jeune pensionnaire de ce temps là fait le trajet inverse et se retrouve en 1958. Au fil des péripéties, les identités se mêlent et les deux jeunes filles traversent une phase de confusion et une sorte de peur existentielle qui a profondément ému Robert Smith lorsqu’il écrit la chanson en 1981.
« J’étais obsédé par Charlotte Sometimes, cette idée de chute temporelle, de dualité, de trouble de la personnalité et de torture qui s’ensuit. Charlotte, après sa première nuit en pension, se réveille, quarante ans en arrière et dans la peau d’une autre. Cela rejoint le thème des jumeaux. » déclarait-il alors pour décrire ce standard du groupe qu’on ne retrouve sur aucun album d’époque.
C’est quarante ans après sa création que l’on retrouve Charlotte et ses amies, leur pensionnat de jeunes filles, devenu mixte, à travers la reprise du groupe-projet Strange As Angels. A la manière de Nouvelle Vague, et pour cause le groupe abrite principalement Marc Collin, le taulier du groupe lounge, Strange As Angels proposera en juin 2021 un disque complet de reprises de The Cure chanté par Chrysta Bell, chanteuse à la voix sensuellement gothique et égérie évaporée du cinéaste David Lynch, avec lequel elle est en affaires artistiques depuis une vingtaine d’années maintenant. Mannequin, chanteuse, Chrysta Bell est une enfant de la balle (sa mère était chanteuse également) qui a notamment été aperçue en tant qu’actrice dans la saison 3 de Twin Peaks.
De Friday I’m In Love à A Forest, on devrait donc retrouver le duo magique sur les traces du plus grand groupe anglais du siècle dernier après les Beatles, les Smiths et quelques autres. Le premier extrait, Charlotte donc, restitue assez bien l’univers du roman (un peu moins l’ambiguïté et la tristesse du single). La vision maniériste proposée par Collin ne nous a pas vraiment convaincue, pas plus que les sonorités lounge qui tendent à égaliser toutes les chansons reprises. Mais on a toujours le plus grand plaisir à écouter des reprises et celle-ci ne fait pas exception. Les plus observateurs se souviendront qu’un tribute à The Cure était sorti sous le même nom (coïncidence un peu malheureuse) en 2003. Ce disque était vraiment bien et on souhaite que les Strange As Angels fassent au moins aussi bien.