Performeur insensé, écrivain doué et musicien prolifique, Jean-Louis Costes, à 65 ans maintenant et après plus de 30 ans d’activisme underground, est un artiste qui continue d’effrayer les critiques et le public par sa radicalité supposée. Les vidéos de ses performances ont fait sa réputation mais aussi du dégât en interdisant qu’on s’intéresse à lui pour autre chose. C’est infiniment dommage dans la mesure où, à l’image de son dernier album La Vie Tue (Jelodanti Records), le musicien indépendant Jean-Louis Costes est depuis longtemps l’un des artistes les plus intéressants du paysage musical français. Expérimental, punk, électro, aussi fin mélodiste que parolier, Costes est un chanteur qui mêle l’esprit DIY et l’artisanat d’un underground qu’on révère quand il nous vient des Etats Unis (de Daniel Johnston à Ty Segall) à des qualités d’expression sociales ou intimes à la poésie extraordinaire. Costes est scato, révolutionnaire, tendre, fragile, romantique, en colère, politique et social. Il écrit une chanson française radicale mais référencée, une chanson française incandescente et immédiate, comme le montre sur ce nouvel album la reprise exceptionnelle de La Coco de Fréhel.
S’il est impensable, malheureusement, d’imaginer un jour que cette musique s’affiche au premier plan, lui permettre de prendre une vraie place parmi les grands du rock indépendant à la française ne serait que justice. Costes est un explorateur de sons et de modes d’expression comme le pays n’en compte pas deux. Il mérite, pour l’ensemble de son oeuvre, de sortir du placard des freaks et des réprouvés pour venir se ranger quelque part entre Throbbing Gristle, Suicide et… Maître Gims. Cet entretien le restitue étrangement dans toute sa… normalité de musicien, tout entier dédié à son travail, la richesse de ses approches et la justesse de ses analyses. Si la vie tue, la marge abîme et conserve à la fois…
Votre nouvel album sort sur le label Jelodanti. La majorité de vos productions musicales sont diffusées directement en CD ou K7. Qu’est-ce qui fait que vous avez choisi de confier ce disque-là à un petit label ?
Clara et Nicolas qui s’occupent de ce label s’occupent aussi d’un galerie. J’avais fait une expo dans cette galerie qui s’était très bien passée. donc quand ils m’ont proposé de faire un disque pour leur label, j’ai accepté avec plaisir.
Est-ce qu’il y a des projets musicaux que vous considérez plus importants pour vous que d’autres ? Est-ce que vous faites une hiérarchie dans votre travail ?
Je ne considère aucun de mes projets comme important quand je les fais. J’aime faire de la musique et des chansons et j’en produit des nouvelles presque tous les jours. Quand j’ai une centaine de chansons inédites, je choisis celles que je préfère et les répartis sur quatre ou cinq albums en fonctions des sujets des paroles et des styles musicaux. Mais quand le temps a passé, je me rends compte que certains albums sont plus importants que d’autres, soit parce qu’ils contiennent des chansons meilleures, soit parce qu’ils marquent une évolution dans ma manière de produire le son.
Le disque sort en vinyle. Ce n’est pas si fréquent. Vous attachez une importance à ces questions de support ou pas du tout ?
Ce qui m‘importe c’est le contenu, pas le support. Mais chaque support a son charme particulier. Et le LP vinyle est un objet particulièrement séduisant, le grand format de la pochette permettant de faire de belles illustrations.
Pas mal d’artistes en vieillissant réfléchissent à leur postérité. C’est quelque chose qui vous préoccupe « depuis où vous êtes » cette idée ?
J’aimerais pouvoir m’assurer que les originaux de mes productions seront bien conservés après ma mort. Je voudrais que les œuvres restent accessibles à ceux qui s’y intéressent, mais ne me préoccupe pas du nombre de ces gens.
La plupart des gens à qui on parle de vous vous connaissent assez peu et retiennent surtout le côté « performance » de vos spectacles, la partie excessive de l’iceberg. Ils n’écoutent pas forcément les chansons. C’est quelque chose que vous regrettez parfois : le fait que le public ne se soit pas élargi au point de reconnaître un peu mieux ce que vous faites ?
Pendant des années je n’ai fait que des performances sur scène. Je ne jouais jamais en public les chansons de mes albums car souvent compliquées à reproduire en live puisque construites sur ordinateur et non jouées. Donc c’est logique que les gens connaissent plus les performances, surtout que leur coté « trash » fait parler. Mais c’est dommage de ne retenir que le « trash spectaculaire » car il y a d’autres aspects dans mes oeuvres : des mélodies, du romantisme, des réactions sur les drames sociaux… Pour mieux faire connaitre ces chansons, je fais depuis quelques années aussi des concerts et en ai publiés beaucoup en streaming.
Le disque est très réussi. C’est un disque qui reflète bien ce qui fait depuis très très longtemps l’originalité de votre démarche : un côté artisanal, un peu noisy, Do It Yourself, un peu fou aussi mais qui est tout de même organisé autour d’un vrai travail sur les chansons, sur les mélodies et sur les textes. Quelle est pour vous l’unité ou disons la couleur qui rassemble ces 13 morceaux ?
La couleur du disque vient de Clara et Nicolas du label Jelodanti. Je leur ai envoyé une cinquantaine de titres, et c’est eux qui ont choisi les chansons et leur ordre sur le disque. D’habitude c’est moi qui choisis les chansons mais j’étais curieux de voir ce que donnerait un disque conçu par d’autres que moi. Il est sûr que si j’avais fait le choix, l’album serait très différent.
En ce qui vous concerne, la réception critique est toujours biaisée car on s’attache trop aux morceaux réellement désespérés et disons plus difficiles d’accès, à l’interprétation qu’à ce que vous racontez. Vous n’avez jamais la tentation de « polir » votre son et de dire : « cette fois, je vais faire un grand album de chansons classiques ». Historiquement, et parfois sur le tard, il y a eu pas mal de chanteurs expérimentaux qui sont venus chercher une forme de respectabilité en s’entourant différemment ou en marquant moins leur différence. Est-ce quelque chose qui vous a traversé l’esprit parfois ?
Oh oui ! C’est mon rêve d’enregistrer au moins un album de chansons produites avec la meilleure qualité possible pour pouvoir toucher un public plus large. Car il est clair que ma manière d’enregistrer et mixer rebute beaucoup de gens. Le producteur Sebastian avait commencé a produire à sa façon plusieurs de mes chansons pour un album, mais il n’a jamais finalisé ce projet. Et je le regrette beaucoup.
Lorsqu’on entend votre re-création de la Coco, on se dit que la plupart des gens manquent quelque chose. Tout y est : vous respectez l’esprit et vous faites une transposition moderne tout à fait subtile et percutante. Il faut bien connaître son époque pour faire ça. Est-ce que ça dit aussi que le trash n’est pas là où on croit et n’est pas l’apanage de la modernité ?
Frehel qui a chanté « La Coco » est une de mes sources d’inspiration. Ses textes sont à la fois très crus et très romantiques. j’essaye aussi de mélanger des sentiments opposés. Ce n’est pas spécifique à notre époque de produire des chansons « trash ». Il y a des chansons socialement et sexuellement obscènes à toutes les époques. Par contre, la censure est plus ou moins dure.
Vous écoutez de la chanson française ? Il y a des gens que vous avez aimés ou que vous aimez bien ?
Je n’écoute pas du tout de musique ni de chansons dans ma vie quotidienne. Par contre j’en écoute pour m’informer sur les styles créatif actuels. Je peux aimer tous les styles tant que je ressens une émotion.
La variété, les tubes et moi
On sent dans cet album une vraie réflexion sur ce qui fait la musique de l’époque. Je pense à Allongé dans un pré où vous altérez votre voix. C’est amusant. Vous croisez ces sons là comme nous : l’auto-tune, le vocoder, les bidouillages. Ça vous intéresse ? Cette chanson est assez géniale pour ça. On dirait la déclinaison d’un vrai tube « révisité » (je mets le mot entre guillemets, car c’est très à la mode de revisiter les choses, ça fait très émissions de cuisine à la télé…). Quel regard vous posez sur les « musiques commerciales » ?
Mon grand regret est de ne pas être un chanteur de variétés qui fait des gros tubes ! Je pense que pas mal de mes chansons ont un potentiel plus large, mais que ma manière de produire limite leur audience – J’aime tous les effets sur la voix : saturations, pitch,, vocodeur, et donc aussi auto-tune. C’est vrai que la musique commerciale actuelle abuse de l’auto-tune, mais ça reste un effet très intéressant. Il est possible d’obtenir des effets très éloignés du résultat conformiste utilisé par tant de chanteurs.
Vous êtes toujours fan de jazz ? Qu’est-ce que vous écoutez de nouveau dans ce domaine ? Où en êtes-vous ?
Je n’ai jamais été fan de jazz. Par contre j’ai vu pas mal de concerts de free-jazz dans les années 70, et ça m’a influencé.
Vous êtes toujours aussi prolifique après des décennies d’activité. Vous disiez il y a quelques années que vous ne vouliez pas perdre de temps, qu’il fallait agir, agir, chaque jour. Est-ce que cela reste vrai ? Vous pensez que vous allez ralentir ?
Quand on fait tout tout seul et qu’on connait bien son matériel, ça va vite pour produire une chanson. On peut facilement en faire une par jour. Donc rien d’extraordinaire à sortir 5 albums par an ! – Une chanson est un instant de vie, une émotion fugitive. Si j’arrive à enregistrer immédiatement la chanson qui me passe par la tête en fonction de l’émotion du moment, elle sera plus forte que si je la produisais mécaniquement une fois l’émotion passée.
Vous composez seul ou est-ce que parfois vos chansons prennent forme en évoluant avec des amis musiciens ou un groupe ? Quel est le processus ? J’ai l’impression que cela dépend pas mal des projets eux-mêmes des occasions mais que c’est aussi le concert qui réclame du matériel nouveau.
Quand je collabore avec d’autres musiciens, c’est toujours a distance : ils m’envoient des bases musicales et je rajoute la voix et des arrangements. Je ne pourrais pas créer de bonnes paroles en présence de quelqu’un. Mais il y a une exception : quand Sebastian voulait produire des chansons de moi, je lui envoyais les idées musicales et c’est lui qui ré-enregistrait et ré-arrangeait tout. Car il est bien meilleur que moi en production, mixage et rythmiques. Malheureusement il n’a jamais fini ce projet et je le regrette beaucoup.
Comment est-ce que vous abordez vos spectacles d’ailleurs ? Est-ce que c’est structuré de bout en bout ou est-ce que vous vous laissez déborder par ce qui se passe, selon la réaction du public ?
Si c’est une performance, la musique est enregistrée à l’avance, donc c’est structuré strictement, même si ça parait très improvisé ( le coté sauvage vient juste de mon interprétation). Mais si je fais un concert de chansons où je joue en direct les musiques, alors c’est très improvisé.
Il y a des formes sur scène que vous n’avez pas encore pu explorer et qui vous tenteraient ?
Ce qui me tenterait surtout c’est de garder les mêmes formes : opéra porno-social et concert de chansons, mais de les produire avec de gros moyens. Un opéra produit dans une salle d’opéra et des concerts faits dans de grosses salles de variétés avec d’excellents sons et des éclairages de qualité !
Je suppose que lorsque vous étiez jeune, la notion même de rockeur sexagénaire devait vous paraître bizarre. Il n’y avait pas encore Mick Jagger à l’époque. Enfin si… mais pas comme ça. Est-ce qu’il y a un moment, selon vous, où est-ce que la question de continuer se pose ou pas ? On ne voit pas, et on ne souhaite pas de fin à votre démarche. Et vous ?
Ca me fait plus ou moins honte d’être vieux et de continuer a faire des performances et concerts. Pas tellement à cause de mon âge, mais parce que je joue toujours dans des petites salles underground. Ce qui me fait souffrir c’est le manque de reconnaissance sociale et de moyens matériels. Je travaille beaucoup sur mes productions et ça me fait mal, après tant d’années de souvent jouer dans des conditions difficiles.
Est-ce que le temps que vous consacrez à l’écriture, à la musique, au dessin, à la scène évolue au fil des années ? J’ai le sentiment que la musique est toujours ce qui vous tire ? Il y a toujours un roman tous les 3 à 5 ans, mais les chansons cela sort en flux continu. Est-ce parce que c’est votre format de prédilection ou est-ce tout simplement parce que vous considérez que c’est techniquement plus facile ?
J’ai commencé par la musique et continue à trouver que la musique est l’activité la plus sensuelle, celle qui m’émeut le plus et me fait sortir de mes gonds. Lire un roman c’est intense, mais l’écrire est beaucoup plus fastidieux. Taper un texte sur un ordinateur n’a rien de sensuel physiquement. Pareil pour le dessin : quand je dessine l’excitation reste mentale, loin de l’impact physique de la musique.
J’ai vu que vous alliez ressortir Grand-père dans une nouvelle version augmentée. Vous l’avez retravaillé véritablement ?
Pour la nouvelle édition de Grand Père, qui sort le 13 juin, publié par la maison d’édition La mécanique générale, j’ai modifié toutes les scènes violentes en donnant plus de détails, ce qui rend le roman plus brutal. Par contre je n’ai pas ajouté de nouvelle scène.
Qu’est-ce que cela vous a fait de vous replonger dans ce texte ? Vous avez trouvé ça bien avec le recul où il y a des choses que vous avez corrigées ou rééquilibrées ?
Ça m’a intéressé de retravailler sur ce roman que je n’avais jamais relu depuis sa parution. J’avais un bien meilleur recul pour juger ce qui était bon, corriger ce qui n’allait pas, et ajouter des détails rendant les scènes plus intéressantes.
Vous avez d’autres romans aussi amples que celui-ci en chantier ?
Je suis en train d’écrire un nouveau roman qui se passe dans le passé dans un contexte de guerre, comme Grand Père, mais très différent au niveau des personnages. Il devrait sortir dans une très bonne maison d’édition en octobre 2019
Je reviens à l’album La Vie Tue tout de même. Le disque exprime évidemment la violence du monde, un dégoût parfois de ce qui s’y passe mais je trouve qu’il y a toujours chez vous beaucoup de tendresse et aussi pas mal d’espoir. J’ai l’impression que vous êtes d’un tempérament désespéré mais… optimiste, presque fleur bleue parfois. Ce côté finit toujours mal mais c’est présent dans tout ce que vous faites. Vous croyez que les choses (je veux dire sociales, amoureuses, etc) peuvent s’arranger ?
C’est exactement ça, je suis a la fois pessimiste sur ce que je ne peux pas contrôler (les autres personnes, la société… ) et optimiste en ce qui concerne mes propres projets que je réalise toujours avec enthousiasme. Et, comme tout le monde, j’oscille entre joie et découragement, haine et amour. C’est ce contraste que je représente dans mes oeuvres.
Le bonheur n’est pas le but de la vie
Quels sont les espaces de bonheur dans la vie que vous menez ? Où est-ce que vous trouvez votre compte ?
Je n’ai pas de vie privée : je me lève, je travaille, je mange, je travaille, je me masturbe et je m’endors. C’est pareil tous les jours sans jamais arrêter. Ce n’est pas le bonheur, mais ce n’est pas non plus le malheur. Je ne crois pas que le bonheur soit le but de la vie. Mon seul but est de réaliser des projets.
Vous vivez toujours à la campagne ? Il y a toujours chez vous une forme de tension et évidemment une dimension physique dans l’interprétation qui se marie bien avec l’idée d’un type qui vit à la marge. On vous imagine bien en reclus, entre ville et campagne, en train de couper du bois, de jardiner, de faire des trucs manuels, nerveux, je ne sais pas. Je ne vais pas dire comme Céline parce que je ne crois pas qu’il travaillait tant que ça. Quel est votre rapport au monde « normal » maintenant ?
Vous imaginez juste ! Je passe presque la moitié de mon temps à bricoler et couper du bois. Ca m’intéresse autant, voire plus, que faire de la musique. J’adore faire des choses concrètes, construire une maison, planter des arbres. Les activités artistiques restent très aléatoires au niveau de la qualité. Par contre un mur bien droit est un mur bien droit. Aucune critique ne pourra le nier. La matière est plus stable que l’esprit !
Est-ce que vous avez une vie sociale riche en dehors des concerts et des trucs qui vous font voir du monde ? J’ai un peu de mal à me représenter une vie qui se passe dans l’underground comme vous ? Quelles sont vos habitudes ?
Je n’ai absolument aucune vie sociale. Mes seules sorties sont Super U pour la bouffe et la Poste pour envoyer mes commandes de disques et livres. Et ça ne me manque pas du tout. Je parle tout seul, ça me suffit comme vie sociale !
Cela fait quelque chose comme trente ans que vous « vivez de votre art » comme on dit. Qu’est-ce qui fait que vous restez connecté à la vraie vie des gens ?
Je reste connecté à la vraie vie simplement parce que je suis pauvre, donc forcé de me coltiner toutes les galères du petit français de base.
Pas mal d’artistes qui gagnaient bien leur vie se plaignent aujourd’hui de ne plus toucher assez d’argent. Les ventes de disques sont basses. Les concerts « moyenne gamme » ne paient plus, voire n’existent plus. Du coup, les « artistes rois » retrouvent une forme d’artisanat presque originelle : pas de gros contrats, mais le fait de produire plus et de toucher un petit nombre de fidèles. J’ai l’impression que vous êtes sur ce modèle depuis que vous vous êtes lancé ? Qu’est-ce que vous en tirez comme enseignement ?
Je suis sur ce modèle parce que aucune grosse maison de disque ne m’a accepté ! N’ayant pas pu vendre mes œuvres, je suis propriétaire de 90% de mes droits d’auteur sur les chansons et les livres. Et ayant dû tout faire moi-même, j’ai un très bon fichier de personnes intéressées par mes oeuvres. Ce qui fait que paradoxalement, je me retrouve dans une bien meilleure position économique que d’anciennes stars qui ont vendu leur droits et n’ont pas le savoir faire pour s’auto-produire et auto-diffuser.
Autour de cette idée, on a le sentiment que c’est la place même du créateur qui socialement est atteinte. Cela reste assez « chic » d’être artiste mais socialement, cela n’apporte plus aucun privilège et moins de reconnaissance. On est revenu à ce qui s’était passé historiquement au XIXème ou avant. Est-ce que vous pensez que les raisons qui vous avaient amené vers les arts sont toujours présentes pour les jeunes aujourd’hui ?
Tant mieux si l’appât du gain n’est plus une raison pour faire de l’art. Ca dégagera les arrivistes. Bien sur il y aura toujours des gens pour faire de l’art sincèrement. Car c’est un besoin de s’exprimer et un plaisir de créer. Et beaucoup de gens ont naturellement ce besoin, artistes ou artisans.
Votre travail s’est développé en lien avec vos voyages, au moins à vos débuts. Est-ce que vous continuez de vous balader ou est-ce que votre périmètre s’est réduit au fur et à mesure que tout le monde allait butiner dans les pays exotiques ?
Depuis que je ne fais plus que de la musique, j’ai cessé de faire des voyages de découverte du monde et des peuples. Auparavant je me suis lancé dans des folles expéditions dans les régions les plus sauvages, la plus dingue étant de traverser l’Afrique à pied en partent de l’Egypte et en traversant le Soudan puis le Congo. Les activités artistiques ne m’ont plus laissé de temps pour ces longs voyages exotiques. Et je n’ai voyagé depuis 1990 que pour faire des spectacles – je ne regrette pas tellement mes grands voyages de jeunesse, car j’ai compris que les gens sont partout aussi chiants et la terre aussi.
On vous demande encore au cinéma ?
Je joue régulièrement dans des films indépendants, mais je n’ai jamais de proposition de grosses productions.
Je ne veux pas vous lancer sur des sujets politiques mais que vous inspire l’état du pays ? Les gilets jaunes ? Macron ? Vous suivez tout cela de près ? Je me trompe où votre travail est moins politique ou disons connecté à l’actualité qu’il a pu l’être par le passé ?
Mon oeuvre est politique dans le sens où je suis influencé par les évènements sociaux, mais n’est pas politique dans le sens où je militerais pour une cause avec mes oeuvres. Je veux pouvoir dire tout et son contraire, ce que je pense et ce que je ne pense pas. Je ne suis pas l’actualité politique de très près mais ai beaucoup apprécié le mouvement des gilets jaunes les deux premières semaines. C’était très beau. tous les gens qui bossent dur et bien, et n’arrivent pas malgré leur efforts a s’en sortir, se sont unis malgré leurs différences. Malheureusement, comme toujours, les casseurs et les récupérateurs ont tout noyé dans le chaos idiot. C’est comme ça…
Quelle agréable surprise de découvrir par hasard un entretien fleuve de Costes sur SBO ! Cet homme est un vrai forçat du travail. Je le suis depuis 3-4 ans, et le fait que le « système » ne tente pas de l’attirer vers lui m’est incompréhensible : c’est la définition même de l' »artiste total », celui qui s’adonne à son art corps et âmes. Je ne comprends pas comment un SebastiAn ait pu laisser cela en suspens (je l’apprends ici), ou même qu’aucun producteur French Touch type Pedro Winter d’Ed Bangers, adeptes d’OVNI musicaux tels qu’ils sont, ne se soit rapproché de Costes. Ou une collaboration avec Sébastien Tellier…! Ou même un Benjamin Biolay ou un Iggy Pop qui l’utilise en tant que parolier, crénom! Même si le style lo-fi et DIY a son charme, la syncope correspondant parfaitement aux obsessions de JLC… un album avec des sons plus ronds pourrait être très intéressant (d’autant plus à une époque où les Inrockuptibles et France Culture célèbrent un Philippe Katherine en couverture ou avec une masterclass).
Mais peut-être finalement qu’il est trop anti-moderne, « seul contre tous », naturellement réac’ et pas assez dans le copinage pour être au cœur du système (sans parler de cette « haine de soi » spectaculaire qu’il a lors de ses entretiens)… Ce qui dans une France post-Charlie peut rebuter beaucoup de frileux du show biz’ ou des médias, voire même faire pousser des varices aux plus sensibles d’entre eux. Si c’est le cas : C’est bien dommage. Connaissant le tempérament de JLC, il restera dans son coin. Pourtant, je pense qu’il suffirait qu’une bonne âme lui tende la main pour changer la donne.
C’est fou, écouter ses titres, l’écouter sur une archive, tout comme lire cet ITW, c’est passer toujours par ce grand-huit émotionnel qui fait sa pâte : il est à la fois « naturellement irrévérencieux », pathétique et incroyablement drôle de par son absence de filtre, brutal mais pas méchant pour un sou. Il me fait penser à un « clochard céleste », un « poète maudit et nihiliste » perdu dans son ermitage. Le fruit d’une partouze entre Klaus Kinski, Céline, Antonin Artaud (en plus drôle, mais pas en moins talentueux) et Pasolini (ce mélange entre sacré et profane). Avec ce surplus de brut de décoffrage venu d’on ne sait où – ce talent « ex nihilo » – n’appartenant qu’à Costes! À une époque où non-dits et émotion sont rois, lui apparait comme une anomalie inclassable, dont les textes, spectacles et musiques contiennent un potentiel ravageur. Impossible de ne pas hurler de rire en écoutant les titres « Kebab Dans Le C*l » ou « LSD et Compagnies »… Et pourtant, loin de là l’idée de placer ces titres dans la catégorie réductrice des « chansons drôles ». Il y a une vérité sociale étonnante (la pauvreté sexuelle, les tensions sociales en banlieue, l’effritement du lien social, etc.) qui émane de Costes, tout comme sa musique étonnement entêtante…et ça c’est assez incroyable comme cocktail, je dois l’avouer. Rien qu’une collaboration entre un gros rappeur mi-underground mi-mainstream et Costes en parolier : j’imagine pas le carnage ahah! Le connaissant, il serait partant.
Quant à son travail de romancier (son côté le plus intéressant selon moi), je n’ai pas rencontré une langue, un style aussi novateur dans ma – certes, un peu limitée – vie de lecteur depuis « L’Orange mécanique » d’Anthony Burgess. Il y a une cadence poétique et drolatique dans ce phrasé saccadé et chaotique. Là encore : je serais éditeur, je me ruerais dessus, car son talent d’écrivain sera réhabilité (j’espère le plus vite possible). Si j’avais fait des études en littérature contemporaine, les écrits de JLC auraient constitué un sujet formidable de mémoire ahah.
Bref, tout cela pour dire que – pour moi : Costes, c’est jouissif et désopilant. En plus d’être un amour de mec, humble. La postérité a intérêt à le mettre à la place qui lui est dû, car son « chaos organisé » se voit touché par la grâce, par moments. Merci pour l’ITW et mes meilleurs vœux!