On appréhendait un peu, après avoir fréquenté les différents singles du duo lâchés depuis un an, de se retrouver face au monstre blanc enfanté par les rappeurs toulousains Stick et Goune. dAMEbLANCHE, à l’échelle d’un LP, a sur le papier tout d’une fausse bonne idée : associer deux des rappeurs les plus trash et hardcore du game, deux des langues les mieux pendues du rap français, les plus outrancières et outrageuses de l’époque, mais aussi les plus naturellement comiques et sarcastiques, pour une alliance contre-nature bénie par l’utilisation intense de l’autotune.
Les premiers morceaux de dAMEbLANCHe laissaient entrevoir une approche curieuse et écartelée dans ses intentions : est-ce que dAMEbLANCHE avait vocation à tout découper à coups de rimes cruelles sous un maquillage mainstream ou, au contraire, à proposer un what if où les deux monstres feraient du rap pour les gamins de 12 ans et les midinettes. Le secret de dAMEbLANCHE est de ne pas choisir. Virage est un mélange hallucinant de caresses et de pains dans la gueule, une tuerie transgenre, incendiaire mais qui sait, par moment, ravaler sa bile et proposer des chansons tendres. Tendres ? Il ne faut pas exagérer mais vous tenez l’idée générale.
L’entrée en matière, Apparition, est mystérieuse et nimbée d’une aura gothique/EMO qui vient intelligemment rebondir sur la figure fantomatique de la dAMEbLANCHE. L’auditeur est d’emblée dérangé par le mélange de rap, d’autotune et de mystère. De quoi dAMEbLANCHE est-elle le nom ? L’album fonctionne comme un conte macabre, en dehors des sorties officielles du label, en marge de l’oeuvre solo ou déjà commune (le projet SALFROM) des deux hommes. Goune assure la majorité des prods et livre des partitions explosées mais d’une richesse remarquable, des titres sur lesquels on ne s’ennuie jamais et qui ne tiennent pas en place. dAMEbLANCHE est un groupe dense et sérieux. Autour est un tube en puissance qu’on verrait bien tourner comme un joint infectieux dans les cours de récré. Stick est doux comme l’agneau et propose des couplets tous publics addictifs et bien écrits. Le titre se termine avec une voix de Chipmunk qui ajoute une touche fun à un grand morceau à l’originalité évidente. Derrière ses atours séduisants, la chanson est paranoïaque et entend soulever le voile de la réalité. « Nous on est nés autour/ On plane comme des vautours/ Ce soir on rentre dans le truc/ Vous attendrez votre tour.«
Les deux hommes ne sont pas ici comme en colonie de vacances. Fonfon est terrible, puissant, massif. C’est l’un des titres les plus imposants du disque. Goune crache à l’arrière-plan. Stick est aux commandes. dAMEbLANCHE évolue dans un second degré atroce et amer. Le message est acide et consume la société sur place. L’univers de dAMEbLANCHE n’a rien à voir avec ce qu’on attendrait d’un groupe de rap : il se situe délibérément en marge et vous projette en permanence dans un ailleurs où vos valeurs n’ont aucune reconnaissance. Ces types sont dangereux et mériteraient d’être placés en tête de liste des ennemis de la normalité et de la Macronie triomphante. Ils pourraient saper à eux seuls les efforts de reprise. ATP est une horreur et un cauchemar pour adolescents : « Je passe par l’arrière-porte. Je vais assassiner tes proches. (tous les tuer) La nuit j’ai rêvé que je tuais des gens. Et mamie m’a dit que c’était mal et méchant. J’en ai marre de me faire racketter. Si je mitraille, tu feras moins le beau à la récré…. » ATP est l’acronyme joueur de « assassiner tes proches » et symbolise à lui seul le génie dérangeant de l’entreprise. Le titre est joliment produit, pétillant et léger comme le vent, tandis que le texte célèbre la folie et le meurtre. Qui dit mieux ? Personne. « Alors maintenant, rends moi mon goûter fils de pute. » Entre boom bap et trap, dAMEbLANCHE ne choisit jamais, brouillant les pistes et faisant exploser ses propres tracks pour les projeter de manière virtuose dans un univers ou un autre.
Entre drogue et autodépréciation, Goune et Stick dressent un tableau sinistre de la jeunesse. « On est des accidents. Les profs disent qu’on aurait pas du gagner la course à l’ovule. On est des accidents. On est des accidents. On a pas d’ami Ricoré. Chez nous Amélie Poulain s’est remise à picoler.« , reprennent-ils en choeur sur Accident. Le pouvoir subversif de cette musique est énorme et mériterait qu’on enferme les bandes dans un bunker. La drogue est omniprésente (le délicieux Camomille), fumée, diffusée, comme si la seule issue était de se maintenir dans un état second et une forme de brouillard cafardeux. Sur Debout, la prod est plus brute et le réveil brutal. Goune malmène les formes dominantes de la production rap, il les détourne, les brutalise, les évente aussi. Les titres sont âpres, désespérés, sinistres souvent.
Descendre ce Virage du premier morceau au dernier fait un drôle d’effet. Comme si on se prenait un gros coup sur la tête ou qu’on entrait de plein pied dans une folie furieuse, un monde de psychopathes et de jeunes dérangés. On se croirait chez Larry Clark, dans ces films références des années 90 où les gamins perdus baisaient et s’exprimaient comme s’il n’y avait plus rien à espérer. Entre meurtres rituels, ultraviolence et ce règne de la beauté instagramée et polie pour les radios FM, le son de dAMEbLANCHE finit par nous terroriser. PPB fait danser mais est encore plus horrible que le plus horrible des morceaux. C’est Funny Games 2. Les filles sont au pouvoir. « Suce moi dans ta minicooper. Papa t’a payé tes nichons, je vais y planquer mon chichon. Pauvre petit bourgeois. Pauvre petite bourgeoise. Canaille pense qu’à mailler, ceux qu’ont la maille, veulent s’encanailler. » Le meilleur titre du disque. dAMEbLANCHE marque le pas sur le sensible et downtempo Différent (comme tout le monde) avant de lâcher avec Drugstar et Jour & Nuit deux titres vénéneux, crépusculaires et d’une beauté noire étincelante.
Virage ressemble à une adaptation musicale de la novella de Ballard, Sauvagerie. Un conte macabre où les enfants se glissaient dans la nuit pour assassiner les adultes, avant de disparaître sans laisser de trace. Il a la froideur formelle et mécanique des prods d’aujourd’hui, l’absence apparente de sentiments du monde abstrait et connecté dans lequel on évolue. Mais c’est un disque saignant et expiatoire, cathartique sous d’autres aspects et qui raconte la triste histoire d’un massacre : celui des illusions et de la jeunesse. Virage est l’une des plus belles productions françaises de l’année. C’est un disque qu’on hésitera à mettre entre toutes les mains mais qui n’est pas loin d’être le plus important de la scène rap en français cette année.
02.Autour
03. Fonfon
04. Tourner
05. ATP
06. Accident
07. Camomille
08. Debout
09. PPB
10. Différent (comme tout le monde)
11. Drugstar
12. Jour & Nuit
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