Goune et Stick s’y remettent trois ans après quasi jour pour jour. Leur premier album, Virage, avait déjà donné un aperçu remarquable de ce que leur association en mode mainstream pouvait donner : le mélange spectaculaire de sonorités affriolantes, supérieurement autotunées, et d’une trashitude redoutable parce que dissimulée sous une forme avenante. Ils n’ont bien sûr pas réussi à émerger au premier plan, même si sûrement gagné quelques parts de marché par rapport à leur clandestinité habituelle.
Rose Gothique y revient puissance 1000 : plus tubé, teubé et embarqué dans un bon gros délire gothique qui devrait (dans un monde idéal) rallier instantanément les légions EMO qui peuplent la planète adolescente. Tout y passe cette fois et il faudra que les fans de la première heure du boss du Crazy Mother Fucker fassent évoluer leur goût : dAMEbLANCHE est la version teenage du CMF, une tuerie portée par l’esprit joueur et moqueur d’un Goune en fusion, qui enflamme, par exemple, un Facel Vega, chanson aussi pertinente pour faire la chenille durant un repas de famille, fêter une victoire au foot ou se tirer une balle dans la tête. C’est lui qui des deux rappeurs assure l’animation et semble le plus à l’aise lorsqu’il s’agit d’emballer le game pour la jeunesse, tandis que son compère, plus grave, ne peut s’empêcher de noircir l’ambiance. Sur l’étrange Tunnel, chanson en deux parties qui s’opposent, Goune débarque comme un feu follet sur une track au beat downtempo pour relever la mélancolie et la tristesse d’un Stick bien campé dans son rôle de croque-mort.
L’album intègre, entre les titres, un conte gothique en lien avec le nom du groupe et la légende urbaine de l’auto-stoppeuse affolée qu’on recueille au bord de la route. Son récit est un excellent fil rouge (L’autostoppeuse) qui rattache le disque à l’univers gothique auquel il appartient, en plus d’offrir une vraie distraction. On se souvient que Stick avait collaboré à un dispositif similaire établi par Al’Tarba sur La fin des contes. Ici, malgré l’imagerie (corbeau, accident, malaise adolescent), on est plus proche du teenage horror movie style Souviens toi l’été dernier que chez Lovecraft ou Edgar Poe, mais on marche à fond jusqu’au dénouement inattendu.
Musicalement, l’album est un étrange mélange de pop, de trap, de hip-hop et de plein d’autres trucs. L’entame Aga est un bon exemple de cette dispersion. Le titre installe un climat bizarre et fuyant autour d’une entame plutôt prometteuse et chantée à toute berzingue d’une voix sur-filtrée. Le titre s’étire sur sa seconde moitié dans une instru nébuleuse qui enfouit les voix sous de multiples couches électro et synthétiques. La sensation laissée est étrange comme si dAMEbLANCHE essayait de créer une musique organique en utilisant des moyens qui, chez tous les artistes, condamnent l’émotion et l’humanité. Rentre à la Maison est bien plus efficace à cet égard et constitue l’un des sommets évidents du disque. La première partie du disque est portée par des sonorités plus pop que hip hop qui séduiront les plus anciens et les amateurs de chansons. Sur Poison Rouge, les deux hommes servent une magnifique balade gothique, infectieuse et passionnante. Les couplets sont excellents et les flows des deux compositeurs ont rarement sonné aussi bien en phase. On retrouve cette alchimie sur un Téléphone imprégné d’une tristesse tragique qui mélange vérité sociale et fantastique dans une déclinaison moderne et crépusculaire du Cendrillon de Téléphone. Le texte (une nana qui craque pour un amant rock n’roll et gâche sa vie) semble écrit pour que les personnes entre deux âges (vieilles donc) s’initient aux sonorités modernes, lesquelles emportent complètement un Pray4Me laid-back et un peu rude à l’écoute.
Le final est vigoureux et brillant entre un Facel Vega génialement synth-pop et qui ressuscite la figure disparue de la Facel Vega, vieille bagnole des années 50, et un dUPERMAN magnifique qui reprend la mélodie vocale de Rentre à la Maison. Les textes sont moins agressifs et trash que sur le premier album. Paradoxalement, alors que le thème global (le gothique) s’y prêtait on trouve sur ce disque un peu moins de punchlines à rapporter que sur le précédent (on met de côté la première partie d’un Aga qui est l’exception qui confirme la règle). « J’ai les yeux rouges mais j’ai pas la vue laser. Je suis ma propre kryptonite. J’ai fait de la merde plus d’une fois. Je pourrai jamais faire tourner la terre à l’envers comme Superman. », chantent-ils sur Duperman, avec beaucoup de poésie. « Je n’ai pas de pouvoir. C’est à toi que je crois.«
Rose Gothique est un disque qu’il faut aborder sans a priori, et certainement pas avec l’idée de jouer au plus malin. Il faut prendre la musique telle qu’elle est, bâtarde, étrangement populaire, puis parfois âpre et juste belle. On passe d’hymnes qui pètent à des chansons à pleurer au coin du feu, de l’horreur à la tendresse, de la joie intense au désespoir. C’est le propre de l’adolescence et probablement de la vie : l’indiscipline, les fautes de goût, passer du coq à l’âne, aller vite puis doucement, s’énerver et de ne plus pouvoir bouger. dISPARITION est splendide de justesse et de nostalgie, petit monument mélancolique qui referme ce tableau adolescent avec brio et magie, porté par une interprétation XXL d’un Stick de dix-sept ans et un Goune à la profondeur insoupçonnée. Cette chanson est un bûcher : elle enterre et célèbre la jeunesse. Le passage à l’âge adulte est une chute, un dessaisissement terrible. Le gothique naît de cet abandon.
02. RENTRE A LA MAISON
03. POISON ROUGE
04. TELEPHONE
05. L’AUTOSTPPEUSE
06. PRAY4ME
07. FACEL VEGA
08. dUPERMAN
09. TUNNEL
10. dISPARITION
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