Les plateformes ont cela de merveilleux qu’elles nous permettent de temps en temps de nous affranchir des prescripteurs en nous laissant guider par des algorithmes qui nous mènent on ne sait trop où. C’est souvent un peu décevant et, parfois, carrément grisant ; à tel point qu’on y a consacré une petite rubrique sur Sun Burns Out. Pourtant, il aura fallu l’annonce de son arrivée sur le label bourguignon Osto records dont on a déjà évoqué ici ou là les précédentes sorties pour découvrir Dear Pola. Comme quoi, un label, c’est quand même bien utile ! Découvrir mais surtout tomber instantanément sous le charme de la musicienne drômoise qui a enregistré seule dans sa chambre de Valence une poignée de chansons, deux en 2015 sous le titre de Kaamos et un second EP près de 9 ans plus tard, Ma Part Du Ciel sorti en décembre dernier.
Pour les plus fins limiers, Dear Pola n’est pas tout à fait inconnue tant ses deux premiers morceaux avaient su taper dans les oreilles bien ouvertes des Inrocks Labs ou du label toulousain We Are Unique Records (responsable entre autre de la superbe trilogie de Laudanum) à deux doigts de lui sortir un album, tombé à l’eau ; celle qui a dû bien couler sous les ponts enjambant le Rhône entre 2015 et 2023 avec, on l’imagine, son lot d’histoires personnelles probablement à l’origine d’une telle coupure alors que tout semblait sur les bons rails. Mary Daste de son vrai nom, revient avec des intentions intactes et une maitrise, dans l’écriture, le chant ou les arrangements qui s’est grandement bonifiée. Alors que le premier EP laissait entrevoir des influences americana somme toute assez classiques, du côté de Mark Kozelek pour le côté folk sombre notamment, Ma Part Du Ciel porte bien son nom et s’ouvre vers une belle et grande clarté que le plafond bas de la très belle pochette ne parvient pas à ternir.
C’est clair : c’est comme si le terme de Dream Folk avait été inventé pour Dear Pola. Portées par une voix au timbre très personnel et chatoyant et une guitare qui virevolte, les chansons de cet EP coulent de source, ruisselant en mille éclats dans les descentes des contreforts des Alpes. Enregistrées en une année, elles ont bénéficié de toute l’attention de leur auteure qui, bien qu’autodidacte revendiquée en matière de production, prend un soin extrême à les arranger pour les sublimer. Il ne faut pas grand-chose, une note de synthé en guise de balise, un kick lointain, quelques cliquetis organiques, une bande inversée, un soupçon de saturation, un train qui passe ou des field recordings pour faire entrer les compositions de Dear Pola dans un univers complétement captivant, onirique et mélancolique qui révèle l’incroyable intensité du nylon qui file sous les doigts. On se rappelle alors de l’immense Jim O’Rourke qui nous emportait dans la seconde moitié des années 1990 avec son Bad Timing sur les mêmes chemins d’une folk revigorée par une approche un tant soit peu expérimentale d’un genre pourtant assez facilement conservateur.
Dear Pola apparait aujourd’hui comme l’héritière de cet esprit aventureux et cet encore tout jeune EP adossé à l’annonce de son arrivée sur un label qui n’a pas peur de la singularité risque bien d’être la promesse de très belles choses à venir.