Il y a plusieurs manières (à peu près autant qu’il y a de chansons sur le disque) de dire à quel point, The Collective, ce disque solo de Kim Gordon est réussi, intelligent, innovant et cool. L’une d’entre elles est de parler à l’ouverture de I’m A Man, en commençant par en reproduire le texte :
It’s not my fault I was born a man / Come on, sweet / Take my hand / Jump on my back / ‘Cause I’m the man / I’m not ideal / I’m a person / I won the war but lost my way / But I can buy / As much as anyone / I’d like to shave my beard, just so / Manicure my nails / Put on a skirt / But at the end of the day / I lost my way / Don’t make me have to hide / Or explain / What I am inside / (Don’t make me hide) / (Don’t make me hide) / It’s good enough for Nancy / Good enough for Nancy / It’s good enough for Nancy / Good enough for Nancy / I’m a man / Don’t make me hide / Don’t make me hide / I’m a man / I’m a man / I’m a man / I’m a man / I’m a man / I’m a man / It’s not my fault / I’m a man / It’s good enough for Nancy / Good enough for Nancy
Puis en évoquant la manière assez géniale dont il est chanté (à plat) et accompagné, par une sorte de musique industrielle répétitive et qui claque comme la bêtise, un coup dans la gueule ou un jugement assassin. Il y a dans ce disque de Kim Gordon, jeune femme d’origine bourgeoise de 70 ans venue à la musique dans les années 70, via le mouvement punk et dont c’est le.. deuxième album solo, une forme de brutalité dans la livraison, de frontalité qui est peut-être bien sa plus grande réussite. Parvenir après une aventure de quasiment cinq décennies à l’avant-garde du rock à livrer un disque aussi vivifiant, bouillant et remuant, un disque aussi « abrasif » et méchant, clinique dans son exécution, est en soi un tour de force. Sonic Youth s’est séparé en 2011 et on ne veut pas penser que l’explosion du groupe (et du mariage de quasi trente ans de ses deux compositeurs Gordon et Moore) est d’une quelconque façon à l’origine de la dureté et du côté sombre qui se dégage de la musique de Kim Gordon en solo. On se souvient qu’au sein de Sonic Youth, c’est longtemps elle qui a défendu les guitares qui crachent, la boucherie Larsens et les expérimentations soniques contre les aspirations plus arty de ses collègues. Est-ce un signe ? Est-ce un héritage ? The Collective est punk, new-yorkais jusqu’à l’os mais d’un New York qui est celui des débuts, du Velvet qui joue au bazooka, étire Sister Ray jusqu’à plus soif, un Velvet où sur chaque note Lou Reed, Cage et Maureen Tucker s’affrontent.
C’est ce côté confrontationnel, colérique, hargneux qui donne une telle allure aux titres. Kim Gordon fait du rock, du punk, de la trap, de la musique industrielle, mais on s’en fout. C’est l’énergie qui compte, la piraterie, la sauvagerie. Sur Psychedelic Orgasm, Grand-mère rentre dans le fast-food et attaque les gamins. Elle leur pique leur milk-shake et bouffe leurs frites puis jouit devant le comptoir.
Going to the store / Gonna cook it up / Passing all the kids / TikToking around / Sipping on the smoothies / Wish I knew what / They were cooking / They were cooking up / Wish I knew what? / Wish I knew what? / Picking out potatoes / 20 dollars each / Picking out potatoes / L.A., L.A. is an art scene / Tongues hanging out / Bodies on the sidewalk / Driving down sunset / Zombie meditation / Getting caffeinated / People lining up / Drive-by situation / This is ’68 / Underneath the freeway / Night burning, the fires begin / Magic mushrooms / LSD / MDMA / Mushrooms / Magic mushrooms, magic / Psychedelic orgasm / Psychedelic orgasm / Open your legs / Psychedelic / Psychedelic orgasm
Il faut le lire pour le croire. L’écriture est beat (Gordon visitait Burroughs en son temps au Bunker, rappelez vous), faite de citations, de listes de course (Bye Bye) et d’assemblages qui se situent dans la grande lignée du rock new-yorkaise. Mais Gordon est là pour tout saboter. Et ça marche à tous les coups. L’album est malpoli, électro, mélodique mais avec des mélodies planquées sous le tapis et qu’il faut aller chercher en creusant avec les oreilles. D’aucuns trouveront qu’il y a trop de distorsions et que les chansons sont cachées trop profond, voire que Gordon se contente d’effets de manche pour les planquer et nous faire croire qu’il y en a alors que ce n’est pas le cas. Mais on peut aussi considérer que ce disque est féministe, revanchard, sexy (Shelf Warmer) et proche du sans faute. The Candy House est un tube en puissance qui a de faux airs de The Glove. I Dont Miss My Mind est remarquable de négligence glauque. On adore le côté tribal et putassier de Dream Dollar. Le disque donne clairement l’impression que Kim Gordon n’en a plus rien à faire de ce qu’on pense d’elle et à décider d’enregistrer un album de plaisir brut, de pur rock, en ne s’embarrassant pas de le polir, de le soigner.
A l’échelle des sexes, The Collective sonne aussi cool qu’un mollet, une aisselle ou une cuisse non épilée mais qu’on désire par dessus tout parce qu’elle a la liberté, l’audace et l’envie de se présenter ainsi. C’est un album sans concession, qui renferme quatre ou cinq décennies d’héritage new-yorkais et se présente, toutes proportions gardées, comme un doigt d’honneur souverain, un petit pied de nez aux convenances, ou la fraîcheur vénéneuse et bagarreuse des premiers disques de Suicide. A ce stade de la carrière de Kim Gordon, c’est à la fois un miracle et une bénédiction.
02. The Candy House
03. I Dont Miss My Mind
04. I’m A Man
05. Trophies
06. It’s Dark Inside
07. Psychedelic Orgasm
08. Tree House
09. Shelf Warmer
10. The Believers
11. Dream Dollar
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