L’époque rend fou et violent et méchant et punk et froid et glacial et revanchard et bagarreur et anti-tout ou pro-rien. L’époque rend con et fier de l’être, elle pousse au crime, au vice, à l’insubordination. Elle rend fou et ce n’est pas sa plus petite qualité. L’idée que la crise actuelle pourrait précipiter quelque chose de plus ample, de plus radical à l’échelle de la société entière n’est pas qu’un fantasme anarchiste et l’on peut en suivre, sur le continent européen, quelques manifestations sonores qui s’incarnent dans un renouveau punk, mais aussi quelques réminiscences de la Oï music et d »une version électronique des musiques industrielles. Pas étonnant dès lors que l’un des groupes les plus percutants de cette nouvelle vague nous vienne tout droit d’Allemagne, et de Hambourg en particulier où les quatre compères de Goblyn se sont rencontrés… en boîte.
Sans doute inspirés par leur homonyme progressif (avec un « i ») italien, les jeunes Allemands signent avec Wet Dogs un premier single à l’efficacité redoutable qui explore avec rage, talent et une certaine noirceur, les « fêlures de l’âme » confrontées aux forces de fragmentation de l’âge moderne. Entre schizophrénie galopante, folie douce et envie de se rattraper aux branches, leur musique comporte une part d’analyse sociale qui les rapproche du discours anti-capitaliste des Sleaford Mods. Mais la force primitive de leur livraison, et le caractère lapidaire de leurs rythmiques, les renvoient plus sûrement aux racines du punk, tandis que leur chanteur leader Johannes arbore une coupe de cheveux qui ne manque pas de rappeler un mélange (confirmé par sa voix) entre un Eminem post-punk et un épigone un peu metal de John Lydon.
C’est bien sûr auprès de ce dernier qu’il faut chercher l’influence esthétique et dans l’attitude la plus frappante, comme on rapprochera le parcours du jeune homme des déambulations des Droogies d’Orange Mécanique. L’ultraviolence pratiquée comme un art a des vertus que la raison macronienne ignore. La musique de Goblyn présente la séduction de l’âge moderne (cet esthétisme qui rappelle aussi Prodigy) et la dangerosité des Anciens. On est pas certains que tout ceci soit respectable et si frais que cela en a l’air mais on peut passer par là, en attendant d’en savoir plus.