S’il y a bien un argument marketing dont on n’a cure, c’est le nombre de milliers/millions/milliards/billiards de vues sur des sites streaming vidéo. Ce n’est pas (que) une question de snobisme mal placé, mais cela ne constitue pas un critère de qualité, dans un sens comme dans l’autre (on peut aisément imaginer que le groupe qui ne suscite aucun intérêt sur la toile n’en mérite pas plus). Si pour présenter un nouveau groupe, le seul argument avancé se résume à des chiffres à l’heure de la dématérialisation, il va en falloir des clics pour que le tiroir-caisse retentisse. Mieux vaut arrêter de dépenser en budget promo et missionner une société de service indienne. Mais avec des postures pareilles, on a bien failli passer à côté de Surf Curse, dont la popularité devrait d’ailleurs croître de façon vertigineuse avec ce présent article (on a toujours rêvé d’être des faiseurs de rois). Cela aurait été un beau loupé.
D’abord, évacuons la petite histoire qu’on nous sert à chaque fois, racontant que ces loustics ont sillonné de long en large les routes américaines pour se constituer une fan-base solide et grandissante – d’où tous ses clics frénétiques. C’est un fait : il vaut mieux essayer de partager ses créations lorsqu’on est un artiste avec un minimum d’ambition.
Dans le même registre argumentaire, on n’est pas bien certain, à distance, de percevoir l’impact dans leur approche de la musique de leur migration géographique de Reno à Las Vegas, puis, désormais à Los Angeles, même si cela parait suffisamment important pour être relayé dans la biographie du groupe. La loi disant qu’on fait de la musique plus cool au bord de la mer n’a jamais été scientifiquement démontrée, même pas par une théorie « bertonienne » fumeuse.
Surf Curse est donc un groupe de pop 2.0 comme il en existe plein : ils naissent aussi vite parfois qu’ils disparaissent. Mais si Jacob Rubeck et Nick Rattigan livrent déjà leur cinquième album depuis 2013, c’est qu’on peut imaginer que ces deux-là ont suffisamment de choses à dire pour produire autant.
Pour ce qui est de trousser des tubes bubble-gum, Heaven Surrounds You (Danger Collective Record) en regroupe encore une bonne tripotée, dans une veine proche de l’axe suédois incarné par The Mary Onettes et Shout Out Louds, et de tout ce qui sort sur Captured Tracks (Wild Nothing, Mac Demarco et consorts). On pourrait aussi pointer la filiation avec Fanfarlo ou The Drums. Et tant d’autres encore. De la pop jangle, avec des guitares carillonnantes, des mélodies gentiment mélancolico-dansantes, un peu pysché parfois, complètement rétro-futuriste : c’est déjà entendu mille fois et pourtant si contemporain.
L’astuce du groupe, c’est de s’écarter des chemins balisés et de s’égayer sur les chemins de traverses. Les mélodies imparables flirtent avec le bord de la falaise et plus d’une fois, font le petit pas de coté qui les oblige à déployer leurs ailes instrumentales. Chaque morceau se termine là où ne l’attendait pas, après de multiples accidents rythmiques (Labyrinth ou Midnight Cowboy en sont de bons exemples). En fin d’album, Surf Curse distille deux morceaux un peu plus longs que la moyenne (la plupart des chansons en restent à deux minutes et trente secondes). D’abord Opera qui démontre que le duo compte un bon chanteur dans un registre mélancolique poisseux et sait distiller des arrangements là où c’est utile. Enfin, Jamie qui permet de vérifier que le duo compte un bon guitariste et une maîtrise du tempo imparable – impossible de ne pas jubiler avec ce break final. Rien de neuf ? Certes, mais que du bon.
02. Labrynth
03. Disco
04. River’s Edge
05. Midnight Cowboy
06. Hour Of The Wolf
07. Dead Ringers
08. Safe
09. Memory
10. Opera
11. Trust
12. Jamie