Doris / Ultimate Love Songs Collection
[Janine Records]

9.1 Note de l'auteur
9.1

Doris - Ultimate Love Songs CollectionCe serait comme être connecté à une radio imaginaire, une balade XXL sur une bande FM occupée par des pirates soul, Rnb, hip-hop, crachotant du rap et de vieux titres oubliés par un sound system oublié dans les années 70 sur un banc de Newtown.

Ultimate Love Songs Collection est le premier long format de Doris aka Frank Dorrey, un artiste surréaliste  du New Jersey, et c’est un véritable tour de force composé de pas moins de 50 pièces, snippets, extraits, aperçus, schémas de chansons qui ne dépassent qu’assez rarement la minute. Doris faisait jusqu’ici de l’art contemporain qu’il diffusait sur instagram et dans quelques galeries, des dessins réalisés essentiellement sur son téléphone et qui sont tout à fait splendides et dans l’air du temps. Il a aussi un Soundcloud où il a déjà posté plus d’un millier de ces extraits bizarres de morceaux qu’il compose dans sa chambre ou au gré de ses déplacements. D’origine haïtienne, le jeune homme navigue dans les milieux artistiques et musicaux de New York et sa banlieue depuis quelques années. Sa playlist personnelle comprendre aussi bien du RnB, que du hip-hop des origines; des trucs soul mais aussi du garage et des choses un peu plus sombres qui permettent de s’évader et d’accompagner une divagation mais sur lesquels il ne se stabilise jamais.

Sa première collection officielle prend donc l’allure d’un long format composé de 50 fragments (tirés des 1000 déjà en ligne) et est follement addictive par sa qualité et sa modernité. Le titre d’ouverture, Young Hatian Nigga, n’a pas d’âge et nous propulse d’emblée dans cette grande lessiveuse qui renvoie au monde de l’enfance (les voix sont systématiquement trafiquées, suraigus, comme des voix de dessins animés ou de canards), de la fête foraine avant de s’achever sur les vingt dernières sur un « sample » (?) de vieille soul des années 60. On voyage dans le temps et l’espace, bercé par des voix bizarres et des tempos cool qui rappellent les plus belles heures de Frank Ocean à l’image du merveilleux Baby Reign. On pense immanquablement aux enregistrements lo-fi de Babybird aka Stephen Jones, au début des années 1990, l’unique exemple de production qui ressemble à ce que propose Doris : même profusion de détails, même génie mélodique instantané (Hennessy&CandyCane est spectaculairement pop, formellement parfait) et même capacité à faire passer des brouillons pour des oeuvres absolument achevées. Les titres ne veulent rien dire et les textes sont parfois difficiles à discerner. Doris utilise des boucles, se répètent, expérimentent devant nos yeux et nos oreilles fascinées, il cherche, change de canal, hoquète mais finit à chaque fois par tomber juste : une chanson d’amour, une chanson désespérée, un embryon de colère, un tube Rnb, une conversation.

Le rendu donne le sentiment d’entrer dans une sorte d’intimité universelle, de proximité complète et infiniment poétique et romantique. Il est assez difficile d’isoler des pistes qui se démarquent mais on sent par exemple que +2s en seulement 42 secondes (42 secondes!) est une foutue merveille. Il y a un peu de guitare pop sur l’excellent Overzealous, un titre que l’artiste chante sans doute avec ce qui pourrait être sa vraie voix. C’est épatant et ça ne tient que sur deux accords. Il y a des trucs volontairement anecdotiques et rigolo (Hesi), et de vraies chansons ambitieuses mais que personne ne prend la peine d’écrire jusqu’au bout comme 2000 shots (39 secondes).  C’est joyeux, triste, mélancolique et cela suggère un éparpillement du moi, une variabilité dans l’émotion, l’inspiration, une dispersion qui est incroyablement prometteuse. On croit entendre Barry White sur D.T.Y tandis que Doris repasse par dessus, comme s’il s’agissait d’un palimpseste musical. Turn Me Up Gang ressemble à un truc qu’aurait pu composer Prince lors de ses night sessions. C’est aussi magique et grisant à la découverte, comme si on pénétrait dans une cave secrète, ou qu’on compulsait une bibliothèque de sons dans un musée des musiques noires. Doris est sexy en diable sur l’impeccable Kissing (30 secondes), titre à la ligne de basse parfaite, et s’amuse à faire n’importe quoi sur un Party 2, ragga trap.

Ce disque est le meilleur disque sorti cette année dans le champ rap/hip-hop/soul. C’est un petit monument moderne et un puits sans fond. En l’écoutant, vous aurez le sentiment de jeter une oreille sur ce qui nous attend : du génie, du vertige, du coq à l’âne. Le « machin » n’a même pas droit à son LP, à son CD. Tout ceci existe à peine. Comme une fréquence perdue, une émission clandestine, un mirage admirable et qui disparaîtra peut-être après quelques écoutes.

Tracklist
01. YOUNG HATIAN NIGGA
02. makeup
03. Baby reign
04. Hennessy&CandyCane
05. if im not back in 5 min, jus wait longer
06. STRAIGHT FACE
07. close friends
08. +2s
09. BREAKINGSKIN
10. JOYOUS WHIMSICAL
11. Overzealous
12. EARLYGOODBYESs
13. BURNING
14. Hesi
15. blowin smoke type beat
16. reservations
17. 2000shots
18. winning numbers
19. in the pits
20. D.T.Y
21. kinda sorta
22. Fav part
23. rock out
24. OKAY
25. turn me up gang
26. 2 speeds
27. bricks
28. ANMWE
29. why it matter?
30. strangelove
31. ur gone hate meee
32. spirits and funny men
33. Two Whiskey Sours
34. smoke clouds so unreal
35. mybodymysoul
36. when you wanna put it in a song and it goes like
37. Kdot rap
38. KEEP DIG!!!!!!!
39. NotAnyonesHouse
40. wedding cake
41. nike tech
42. idk
43. Gs
44. half n half Arizona
45. blue dream
46. kissing
47. 205
48. Jerk
49. Party 2
50. motivator
Écouter Doris - Ultimate Love Songs Collection

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