Ô Lake / Refuge
[Patchrock / Night-Night Records]

8.1 Note de l'auteur
8.1

Ô Lake - RefugeLa critique musicale parle assez peu du travail et de l’acharnement qui préside souvent à la production d’un disque, de la difficulté d’atteindre le résultat attendu, des errances, des hésitations et parfois des souffrances qui mènent à la stabilisation d’une chanson, d’une mélodie ou d’un son. L’une des réussites de ce premier album magnifique de Ô Lake est, plus encore que d’autres, de faire disparaître totalement du produit fini cette notion de labeur et de recherche préalable. Refuge est une musique qui coule de source, une musique si fluide, naturelle, souple et élégante qu’on la croirait venue tout droit d’un instrument unique ou chantée par la voix d’un animal imaginaire qui parlerait comme on joue du piano, des cordes du synthétiseur.

Les 11 pièces qui composent ce premier album (sous ce nom) du multi-instrumentiste Sylvain Texier dégagent une facilité insolente en même temps qu’un lyrisme fin et jamais outrancier qui projettent l’auditeur dans un environnement bucolique, réconfortant et composé de matériaux plus légers que l’eau. L’album est exclusivement instrumental. Les pièces organisées principalement autour d’un piano aussi peu bavard qu’il est expressif. Un trio de cordes et quelques percussions relèvent les séquences qui peuvent être aussi appuyées par quelques notes d’électroniques. Le territoire exploré ressemble comme deux gouttes de pluie à celui qu’avait investi l’immense James Heather sur son Stories From Far Away On Piano il y a maintenant deux ans. Là où l’Anglais s’appuyait de manière plus nette sur une recherche de mélodies marquantes, de motifs singuliers (des choses que l’esprit retient et peut répéter pour lui-même quand la musique s’arrête), Sylvain Texier joue la continuité et le balayage d’un paysage plus discret, presque anti-romantique dans sa manière de ne pas distinguer de temps forts ou de ruptures de rythmes dans les progressions suggérées.

Cela donne de très beaux titres discrets et tout en délicatesse comme Refuge ou Rêveries. D’autres morceaux, à l’image du magnifique Holocene, sortent un peu du registre classique pour s’approcher de la musique de films ou de l’illustration sonore. Les rythmiques sont plus marquées et les effets dramatiques plus soutenus, sans que cela ne devienne jamais tape à l’œil. L’impression laissée ici est celle d’un déplacement dans un paysage naturel qu’on identifie mal et que les titres ne définissent pas avec précision. S’agit-il d’une forêt ? D’un espace froid et glacé ? D’une étendue couverte par les lacs de montagne ? L’auditeur est libre d’investir la carte sonore qui se déploie devant lui comme s’il se lançait dans une sorte d’exploration ou entrait dans un monde vierge et pionnier. Quelques stations sont marquées pour nous où l’on cause. On entend le pas d’une autre âme qui nous accompagne (Conversation), on croise des fantômes (Silhouettes) ou le contour d’une femme. Il faut avoir un peu d’imagination pour se plonger dans la musique d’Ô Lake ou juste se laisser aller à la contemplation et à la dérive.

Donné pour la première fois à Rennes dans le cadre d’un festival, Refuge se joue aussi au casque dans des représentations qui tourneront en France à partir de mars. Le dispositif est immersif et propice à la méditation et au retour sur soi. Le charme et le génie de cette musique sont qu’elle nous parle instantanément et semble au fil des écoutes et des explorations provenir de notre propre intériorité. November 17th est une question posée. La plus belle de toutes et le plus ample morceau du disque. Que s’est-il passé pour nous ce jour-là ? Où étions-nous ? Un rond-point, un lit, une salle de concert. Comme Heather et d’autres, Texier joue des notes répétées et des récurrences pour nous plonger dans une mélancolie aussi irrésistible que poétique. Ce titre est d’une beauté infinie au point d’en éclipser la force et la splendeur d’un final pourtant très réussi. The Leftovers ne demande pas son reste et papillonne avec grâce et une certaine emphase joyeuse sur ses presque quatre minutes avant que le disque ne se referme sur un Epilogue qu’on qualifierait de fougueux et tonitruant (à l’échelle du disque).

Refuge est un disque brillant et hospitalier, inspirant et ambitieux de modestie.

Tracklist
01. Refuge
02. Reveries Op. 1
03. Portrait of Solitude
04. Holocene
05. Conversation
06. Silhouettes
07. Morning
08. November 17th
09. Interlude
10. The Leftovers
11. Epilogue
Écouter Ô Lake - Refuge

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