[Interview] – Scratch Massive, comme au dernier jour

Scratch Massive par Caroline BonardeScratch Massive par ©Caroline Bonarde

Un disque parfait pour accueillir la fin du monde. Quelques semaines après la découverte de leur dernier album live, enregistré à Paris, se renforce l’impression que ce disque somptueux n’est pas sorti par hasard. L’association de Maud Geffray et Sébastien Chenut y connaît un nouveau sommet de cohésion et de fluidité mélancoliques qui confirme que Scratch Massive, à défaut d’être le groupe électronique français le plus connu, est aujourd’hui le plus précieux. A travers une discographie de vingt ans, le duo a signé, par delà les tubes, ce qu’on aurait appelé en d’autres temps la bande-son d’une époque et d’une génération, la leur, née dans les clubs, la sueur, la danse et l’espoir de se trouver en s’oubliant, grandie en poursuivant des rêves impossibles, d’amour, de réussite, d’affirmation, trop hauts pour elle et confisqués par un système qui s’en foutait et maintenant assignée à domicile pour accueillir une mort au rabais, en grenouillère et série télé. La musique de Scratch Massive porte sur elle l’alliance de l’organique et de l’électronique, l’alliance des vivants et des morts, l’alliance de la joie et de la tristesse qui vient avec. C’est une musique qui défie le temps et se déploie en nappes et boucles fantômes, depuis les postes avancés des DJs mais aussi depuis quelques années maintenant sur la voix cafardeuse et rêveuse de Maud Geffray, dont l’usage a propulsé la musique du groupe dans un ailleurs impénétrable et tutoyant le sacré. Rencontre confinée.  

Vous avez régulièrement pris le temps de proposer des albums live à votre public. C’est toujours assez casse-gueule, le live pour la musique électronique notamment. Comment restituer l’énergie mais aussi comment rendre justice au son ? Qu’est-ce qui vous plaît dans cette idée de faire des disques live régulièrement ?

Maud
: Nos albums studio et nos tracks originaux ont souvent des tempos plutôt lents, nous retravaillons toujours nos tracks pour le Live, nous envisageons toujours ce gros travail de réadaptation, on monte les tempos, on simplifie des structures pour rendre la performance plus intense et adapté pour nous sur la scène. On aime bien l’idée que ces nouvelles versions et que le travail de narration qu’on fait sur la durée d’un live existe à un moment donné en dehors de la scène.

Comment est-ce que vous avez travaillé sur ce disque ? Comment est né le projet ? Paris ? C’était un choix « marketing » pour l’international ou juste parce que ces concerts avaient quelque chose en plus ?

Seb
: Le projet est né surtout du désir de laisser une trace de ces nouvelles versions hors de la scène, que les gens puissent aussi le découvrir chez eux la narration du live qui mêle différents albums de Scratch Massive, essentiellement Nuit de mes Rêves et Garden of Love.

D’un point de vue artistique et technique, comment est-ce que vous avez travaillé pour mêler les performances parisiennes ? Arrêter la track-list ?

Maud :
Nous avons enregistré deux prestations parisiennes : à la Gaité lyrique puis a la Philharmonie pour le festival Days Off. Notre ingé son a enregistré piste par piste les deux lives, nous avons ensuite couché les pistes dans Ableton (notre logiciel de travail) et avons procédé au découpage des meilleurs passages. Nous n’avions pas joué la même track list donc il a fallu faire des choix mais ce fut très instinctif, aller à l’émotion.

Est-ce qu’il y a eu un retravail du son en studio ?

Seb
:Pas vraiment, tout était là, ce fut essentiellement du ciseau et un mixage final des pistes

Est-ce que vous êtes intervenus tous les deux sur ce travail ou est-ce que l’un d’entre vous vous a pris les choses en mains ?

Maud
: Pour la partie mise en forme des pistes et tout ce travail d’edit, c’est plutôt Seb qui s’y colle mais nous prenons toutes les décisions à deux.

L’ambiance générale du concert est plus mélancolique que véritablement dansante ou festive ? C’était probablement à la fois une caractéristique de cette série de lives et en même temps un choix de vous représenter non pas comme un groupe « à tubes » mais plus comme un groupe d’ambiance, presque planant par moment, hautement mélancolique en tout cas ?

Maud
: Il est vrai que nous ne sommes pas un groupe electro purement dancefloor sur scène, comme les Chemicals Brothers par exemple. Pendant un set live, on passe par plein d’émotions, c’est un genre de livre ouvert plutôt, avec des moments émotions deep, des moments dancefloor aussi, ou plus directs, mais on cherche à envoyer les gens au tréfonds de leur âme par moment oui. Nous avons tout de même nos « hits » dans le show, mais nous aimons privilégier un univers global et une forte émotion sur tout le live.
D’une manière générale, j’ai toujours le sentiment et de plus en plus, qu’il y a chez Scratch Massive deux forces qui ne s’affrontent pas mais du moins peuvent diverger entre les aspects « dance », associés traditionnellement aux fiestas électro, et une électro plus contemplative. C’est quelque chose que vous réalisez et sur lequel vous travaillez avant de monter sur scène ?
Maud : Oui nous avons diverses influences bien sûr, certains tracks ont un coté plus direct, immédiat, « dance » et d’autres sont beaucoup moins « légers » nous avons quand même une musique à l’ADN assez mélancolique, une électro mélancolique dance floor, ou pas.

Je suppose que comme tout groupe vous cherchez à établir une setlist équilibrée, un peu surprenante mais aussi avec des passages obligés. Sur le disque Live in Paris, est-ce que l’un de vous a eu des envies particulières ? De faire ça plutôt que ça ?

Seb
: Oui nous avions envie d’être à deux sur scène, sans invités ou autre musicien. Il nous est arrivé d’avoir aussi des écrans vidéos etc… Sur ce live nous voulions être simplement à deux, avec Maud à la voix, nos machines et un beau set up de lights.

L’évolution du travail solo de Maud laisse penser que c’est à son initiative que le courant « onirique »/ « contemplatif » prend du volume depuis Last Dance, etc. Et que Sébastien serait ainsi le tenant d’une électro plus agressive, plus hédoniste. Est-ce que ce sentiment que l’on peut avoir quand on vous suit renvoie à quelque chose de vrai au sein du groupe ou est-ce une vue de l’esprit ?

Maud
: C’est assez juste, Seb a tendance a amener des choses plus directes et énergiques, aux tracks j’amène pas mal ce côté onirique et mélancolique je crois. Last Dance a été composé à peu près au moment où je travaillais sur mon album solo, mais il a aussi ce côté très Scratch Massive, avec sa rythmique lourde et lente. C’est un moment où j’avais envie d’injecter davantage de ma voix à nos compositions, et le moment où je commençais à travailler sur mon projet.

Vous évoluez tous les deux désormais à un océan de distance. Comment est-ce que vous fonctionnez ? Est-ce quelque chose qui a redéfini vos rapports ? Est-ce quelque chose qui fragilise le groupe ou au contraire permet de l’entretenir en ménageant des moments de retrouvailles fructueux et bienveillants ?

Seb :
Nous avons monté un studio a Los Angeles. Nous avons récupéré un ancien studio des Beastie Boys, totalement désigné à la main par Money Mark. C’est une très belle pièce dans lequel nous avons notre matériel : synthés, mixers et séquenceurs analogiques essentiellement… On a pris notre rythme de travail : Maud vient me voir a L.A et on se fait des grosses sessions d’enregistrements et de productions. A Paris on se voyait un peu tout le temps en studio. Là? on doit resserrer la création, être plus prolifique sur un temps concentré, un peu comme une résidence. Et nous avons concentré le « son Scratch Massive » à LA en quelque sorte. Maud a d’autres synthés a Paris, mais on travaille sur le même logiciel Ableton pour pouvoir s’échanger des fichiers.

Est-ce que vous avez peur l’un et l’autre qu’un jour votre aventure se termine et que l’un de vous dise : il est temps d’arrêter… C’est quelque chose qu’on a généralement en tête dès qu’on fonde un groupe et qui ressurgit comme un spectre de temps à autre…

Seb :
Je pense que si nous avions dû arrêter cela aurait dû être il y longtemps. Nous avons vécu beaucoup trop de choses ensemble, au sein du groupe et dans la vie, pour pouvoir penser s’arrêter maintenant, les choses se transforment bien sûr mais dans le fond nous sommes sans doute assez inséparables.

Qu’est-ce qui a fait finalement que vous ayez réussi à travailler ensemble aussi longtemps ?  Est-ce une question de sensibilité ou de personnalité, d’amitié qui dépasse finalement la simple « sensibilité musicale » qui elle peut évoluer à travers le temps ?

Maud : nous avons des personnalités assez différentes, dans la vie comme dans la musique. Il y a une question de complémentarité, qui concerne aussi nos compétences : Seb maitrise plus que moi les machines, moi sans doute plus l’aspect mélodique, on se renforce quelque part l’un et l’autre.

Vous avez interprété sur ce live des morceaux assez anciens comme Soleil Noir. Quel regard portez-vous sur votre parcours commun ? Qu’est-ce que vous en retirez sur le plan artistique ? Qu’est-ce qui vous parait le plus emblématique du son Scratch Massive ? Dis autrement de quoi êtes-vous le plus fier ?

Seb
: je trouve quand même notre parcours assez joli, nous avons un son caractéristique depuis le début, et nous l’avons développer ; amené de nouveaux ingrédients, sans jamais l’altérer ou le trahir. Si nous pouvions être fier de quelque chose c’est d’être toujours ensemble et d’être parvenu à faire de notre musique notre métier.

Indépendamment de la musique elle-même, quel est à chacun votre instant passé ensemble le plus précieux ? Celui qui définit votre amitié et votre relation ?

Seb :
Très dur d’en sélectionner un car j’ai l’impression que chaque moment où l’on va monter sur scène est un instant précieux, nous sommes tous les deux et souvent plutôt fragiles a ce moment-là, et ça reste très excitant. Et puis il y a cette force et ce sentiment que nous ne pouvons pas perdre la bataille:) Il y a quelque chose d’assez confortable de faire de la musique en studio et c’est beaucoup plus angoissant de monter sur scène. Je ne connais personne qui ne flippe pas avant de monter sur scène, il y a une attente toute particulière. Ce qui pourrait définir notre amitié serait le temps tout simplement, le temps détruit tout comme dirait Gaspar Noé, alors je prends cela comme une victoire d’avoir pu conserver notre relation aussi forte au fil du temps.

Vous avez un souvenir précis de votre première rencontre et de ce que vous avez pensé à ce moment là l’un de l’autre. C’était à Angers, c’est ça ?

Maud :
C’était dans une boite de nuit a la Baule au Churchill, en 1994. Seb était DJ l’été, moi lycéenne, je n’y connaissais encore rien a ce monde des DJS et de la techno je découvrais complètement, J’adorais la musique qui passait ce soir là et je suis venue demander au DJ (seb) s’il pouvait remettre le track avec la fille qui chante (Play with the voice, DJ Joe T Vannelli) c’était notre 1er échange.

Vous avez une place singulière dans le champ électro. Vous êtes connus mais… pas trop et il semble que vous ayez réussi à tracer un sillon singulier, avec toujours beaucoup de liberté de faire telle ou telle chose sans être enfermés dans un style ou un genre trop identifié. A l’inverse d’autres groupes renommés (je pense aux Chemical Brothers par exemple), Scratch Massive n’a peut-être pas une identité musicale si prononcée. Est-ce que vous seriez plutôt d’accord avec ça ?

Maud :
je pense qu’on a toujours aimé faire des choses transversales, sortir des albums mais aussi travailler sur des musiques de films, de docs, on n’a peut-être pas une carrière hyper stratégique, beaucoup de temps entre les deux derniers albums par exemple, on n’a peut-être pas calibré beaucoup ce qu’on faisait. En même temps c’est surement ce qui nous a permis de durer

J’ai insisté dans ma chronique du disque sur l’ouverture du concert. Les trois premiers titres sont formidablement liés dans le mix. On a quasiment 17-18 minutes de musique complètement cohérentes et sublimes. C’est un vrai moment de grâce. On ressent ces instants sur scène ou à la réécoute ? Qu’est-ce que vous ressentez quand vous vous lancez comme ça sur un concert ? 

Maud :
C’est un moment très particulier ce début du concert, nous avons effectivement un mash up de Last Dance et Fantôme X qui se développent vers Soleil Noir, on est complètement conscients de l’envolée onirique qui s’opère sur ce début. Waiting For A Sign arrive et une chose est sûre c’est que c’est l’hystérie sur ce track. Il amène une énergie très puissante et fédératrice après ce début enveloppant et qui monte comme une bonne drogue.
Seb : Oui le début est un moment presque silencieux avec le public, nous n’avons pas vraiment de pause pendant ce premier quart d’heure, alors on ne peut pas trop savoir comment est la réception de ce moment. Quand on arrive a la fin de cette partie, c’est généralement là qu’on se rend compte que l’on a emmené les gens très très loin:).

Comment est-ce que vous communiquez pendant les concerts ? Je suppose que, même s’il y a un travail à fournir autour de la gestion « technique » et artistique de la musique, vous êtes suffisamment en maîtrise pour improviser des choses et interagir, ajuster et aussi prendre du plaisir en faisant telle ou telle chose ?

Seb :
Paradoxalement nous ne communiquons presque pas pendant le show, nous sommes proches l’un de l’autre mais concentrées, et nous avons chacun pleins de tâches à faire.
Maud : Nous avons pas mal de parties sur chaque morceau pendant lesquelles nous avons des libertés d’actions, d’improvisations, mais nous les connaissons, nous avons des espaces de liberté alloués mais sectorisés, sinon on s’y perdrait dans les structures de morceaux.

Question pour Sébastien : comment vous avez pris en compte le fait que Maud se mette à chanter de plus en plus souvent ? L’irruption d’une « voix maison » a changé un peu le rapport que vous entreteniez aux voix je trouve.

Nous voulions tous les deux que nos chansons se resserrent autour de sa voix plus qu’avec des featurings, comme nous l’avions fait par le passé. Cela permet de tout maitriser davantage dans le process créatif. Et c’était assez naturel à ce moment-là de notre process justement.

Question pour Maud : est-ce que le travail que vous avez réalisé en solo a eu un impact sur ce que vous apportez au groupe ? En vous donnant plus d’assurance peut-être ou en étant plus en proposition, notamment quant à ce que vous pouvez apporter au chant ?

Oui ça m’a permis de prendre du temps pour travailler ma voix comme je imaginais, ne pas l’utiliser de façon totalement directe, mais avec des effets, en cuter des bouts, les depitcher etc , c’est une matière sonore qui rend les choses plus intimes, plus émotionnelles, j’aime qu’elle se fonde à la matière musicale.

Quels sont à chacun les 3 morceaux de Scratch que vous préférez ?

Seb: Pleine Lune, Last Dance, Dancer in The Dark
Maud: Dancer in the dark, Last dance, sunken (live version)

Question coronavirus ! Où êtes-vous actuellement ? Comment ça se passe pour vous ?

Seb
  : Confinement total à Los Angeles, avec une administration qui préfère sauver les marchés financiers plus que ses propres citoyens. Donc tendu car pas de réel chef, ou d’organisation comme en France.
Maud : chez moi dans le 19eme. Je ne me plains pas, j’ai une vue très belle et super dégagée. J’ai mes platines et mes synthés chez moi, et du temps, il y a pire situation. J’essaie aussi d’aider autant que je peux en faisant partie d’une association pour l’aide aux soignants et appels aux dons – Protège ton soignant – on a déjà récolté plus de 20 000 euros et les achats de matériels sont très très concrets et acheminés dans tous les hôpitaux.

Des groupes et artistes proposent des mixes en ligne, des concerts en chambre. Vous avez pensé à des choses de votre côté ? Ou vous préférez en profiter pour bosser sur la musique de demain. Vous aviez des dates prévues je crois.

Maud
: Oui toutes nos dates sont annulées, c’est assez vertigineux de voir tout ce travail anéanti : dates à LA, Miami, Lorient, Paris, Rouen etc… Des reports de projets en cours aussi, bref c’est une situation très compliquée, et pour tous les artistes et techniciens. Il faut rester patients, optimistes car je pense que beaucoup des festivals d’été seront aussi annulés cette année. Je me concentre sur mes productions oui.
Seb : Maud vient de faire un mix pour Tsugi, notre Live in Paris vient de sortir et permet de plonger virtuellement dans une ambiance de salle de concerts. C’est aussi le moment d’avoir le temps pour faire des morceaux oui, je suis sur une musique pour un documentaire actuellement.

Votre prochain rendez-vous en commun ? en solo ?

Seb :
On va enregistrer des nouveaux morceaux pour le prochain album de Scratch Massive dès que l’on pourra, et Maud enregistre actuellement des morceaux pour son prochain album solo et je prépare un nouveau maxi.

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