Il faut être lucide : le premier album de The Haunted Youth n’agitera pas outre-mesure l’actualité musicale et a fortiori ne marquera pas l’histoire de la pop music. Mais il faut aussi admettre qu’on a largement sous-estimé le pouvoir de séduction de Dawn Of the Freak (Mayway Records) et, de fait, on aura minoré pendant quelques temps (l’album est paru en novembre 2022) le talent de Joachim Liebens, seul maître à bord.
On imagine d’abord trouvé un énième album d’indie-rock, vaguement shoegaze, crânement coldwave avec toutes ces vidéos avec des sympathiques fantômes et des mignons zombies, comme il en existe tant. Et oui effectivement, les aspirations et inspirations du Belge sont très semblables à celles des groupes qui font (ou ont fait) les belles heures de Captured Tracks ou Tough Love Records.
Il faut déjà traverser l’introduction dont on se demande bien quelle est l’utilité à la première écoute – on comprend ensuite que c’est pour poser l’ambiance et qu’il faut faire l’effort de l’endurer comme on pousse la porte grippée qui ouvre sur Le Monde de Narnia. Ensuite, il suffit juste d’un petit effet stéréophonique pour entrer dans l’univers immédiatement accueillant de The Haunted Youth. La production cotonneuse qui sert bien le chant mélancolique du jeune homme est pour beaucoup dans cette impression de proximité et d’intimité. Shadows sera probablement le coup de cœur le plus immédiat (qui aura motivé à lui seul l’achat du disque dès sa découverte au détour d’une lecture aléatoire YouTube). Comment ne pas flasher sur ce mid-tempo taillé pour avaler des kilomètres de route de nuit évoquant Craft Spells, Beach Fossils ou Wild Nothing ? Il nous est aussi impossible de résister à Gone, malgré une rythmique binaire des plus basiques, qui laisse s’échapper une ligne de guitares chipée à Tear For Fears puis un solo de synthétiseur issu d’un temps où Simple Minds emplissait des stades. En comparaison des chansons les plus poisseuses telle que House Arrest à l’ambiance twin-peakesque et qui donne envie de réécouter les deux albums de la comète Cemeteries, Broke sonne comme le morceau de bravoure de cet album pour les cœurs d’artichauts. Sur ce petit disque tellement attachant, on a même plus d’une fois le droit d’évoquer l’ombre tutélaire des premiers New Order dans une version bedroom-pop, jouée en solitaire et avec peu de moyens. Ah oui, c’est certain, cela reste de l’artisanat, mais ce bel ouvrage s’est imposé durablement dans notre sphère intime avec la force de la modestie et sincérité des choses faites avec élégance et conviction.