Gontard / Akene
[Ici d’Ailleurs]

9.8 Note de l'auteur
9.8

Gontard - AkeneLes mouvements de circulation et de convection entre le rock indé et la chanson populaire sont si peu nombreux et foireux qu’on doit accueillir sans réserve les tentatives réussies de s’ouvrir une porte vers une audience plus vaste. Akene, le nouvel album de Gontard, est à cet égard un marqueur d’époque qu’il faut saluer à sa juste valeur. Pas sûr qu’il s’impose comme un jalon aussi important que le Baiser de Miossec ou la Mémoire Neuve de Dominique A (le succès commercial en jugera), mais un quart de siècle après, c’est l’effet exceptionnel qu’il a eu sur nous : un album si généreux, efficace, inspiré, formidablement écrit qu’il s’impose d’emblée comme un disque important et auquel on passera par principe quelques faiblesses ou facilités d’écriture.

Ténia Académy

Ceux qui ont suivi le bonhomme depuis, au minimum, son premier album (en 2016), auront peut-être, comme nous, l’idée selon laquelle la fréquentation-hommage par Gontard des chansons de Jean-Luc Ténia, lui aura été profitable. Du Ténia, Gontard aura retenu l’absence de barrière entre les genres, les inspirations, les fulgurances, le délicieux mélange de l’intime (voire, plus profond, du « personnel ») et du politique, mais aussi, et tout aussi certainement, l’envie de « ne pas finir comme lui ». La question se pose en effet, lorsqu’on opère dans ou depuis les limbes, de savoir de quoi sera fait l’avenir et si on a une chance d’y survivre toute une carrière durant. Gontard signe avec Akene, une invitation à le rejoindre qui, secondée par une intention musicale sublimement mise en place par Ray Bornéo et sa bande, devrait (on l’espère du moins) lui valoir un accessit vers le « Grand Monde », celui des radios grand public et des supermarchés.

Sur le plan musical, Akene est une réussite totale, sans aucune espèce de reniement, si ce n’est une extrême méticulosité dans la production et une façon d’arranger le son qui coupera court aux critiques en amateurisme. On y retrouve la verve maladroite et gentiment étrange d’un Gontard qui oscille entre le laconisme et la désespérance et une poésie redoutable. Le disque s’appuie sur une contextualisation assez géniale qui installe la narration dans les années 70-90 (la période est indéfinie), sur la Nationale 7, pour mieux faire le portrait de l’époque actuelle. En regardant en arrière, Gontard ne fait en réalité que parler du temps présent, de ce qui a gentiment disparu et des traces d’hier qu’on peut lire entre les lignes/vers/chansons et notre propre mémoire. Le jeu temporel confère à l’ensemble une lucidité confondante, une intelligence remarquable et une force nostalgique qui, à ce degré d’engagement personnel, font du disque une arme d’émotion massive. Gontard fait sourire, il fait réfléchir et pleurer à la fois. C’est l’apanage des grands disques, tout en s’en tenant au cahier des charges qui consistait ici à simplement écrire des chansons pop en français, à la limite de la variété.

Difficile de ne pas faire le pont entre un Plein de Super ultraréaliste, en forme d’équipée sauvage et d’ode à la camaraderie, et les ronds-points aux gilets jaunes. Le single est parfait, critique, emballant, racé et percutant. On le comparait, par malice, à l’Odeur de l’Essence d’un Orelsan, l’autre jour, quand bien même les deux chansons en terme d’écriture et de composition ont deux classes d’écart. On a d’un côté une approche à hauteur d’homme, une balade raffinée et millimétrée; de l’autre, une sulfateuse en pleine action, terriblement efficace et intéressée principalement par l’impact qu’elle produit. Gontard, ce qui n’était pas sa caractéristique jusqu’ici, construit son « propos » avec une cohérence nouvelle, chanson après chanson, pour donner une image et une vision de la France, contrastée, critique et bienveillante, qui se trouve être la nôtre : une vision d’un type qui fait partie du troupeau, qui y broute et y bêle, qui y sue et y baise.

Satisfaction

Le sentiment d’authenticité, de justesse et d’extrême sincérité qui se dégage des chansons est la principale richesse du disque. On peut lire les influences (Vassiliu, Gainsbourg, mais aussi Cure et la new wave pour le son de la basse parfois, les guitares à la Just Like Heaven sur l’extraordinaire Camion) mais celles-ci s’effacent face à l’autorité et à la grandeur des chansons. Akene est un disque presque intégralement composé de chansons majeures, amples et formidables. On passe de la beauté pure de Camion à l’intensité sentimentale de la Chanson de Cédric, en passant par la liberté jouissive et jouisseuse d’un Mahalia Dooyoo suffisamment balèze pour nous faire aimer la world music. On traverse la tragédie minimaliste d’un Faillite époustouflant pour se jeter dans la gueule des Loups, monument qui, par sa puissance et son engagement, fait passer la Dernière Chanson de Mendelson, avec laquelle il partage une énumération de prénoms, pour un simple exercice d’écriture. La liste de Gontard est vivante et elle part en guerre, quand l’autre rend les armes et referme le couvercle.

Femme d’entretien est une chanson impeccable et sans pathos, hommage à la mère et aux travailleurs du premier cercle. C’est beau, c’est juste et pesé au gramme près. La séduction est nickel mais on a fait d’Akene Guetno, notre chanson préférée, pour le jeu de mots génial qui lui donne son titre mais surtout pour cet élan et ce sentiment d’appartenance fraternelle qui s’en dégage et qui nous fait penser au Joyriders de Pulp ou au Too Handsome To Be Homeless de Babybird. La virée entre potes et entre bras cassés est l’essence de cette musique et probablement la « représentation emblématique » de l’auteur lui-même, de ses fans (dont nous sommes) et plus globalement du monde indé et de ces classes moyennes sacrifiées dont il se fait le chantre malgré lui. Akene Guetno est frondeuse et joueuse, rieuse et crâneuse, insignifiante et pleine de colère. Elle a la force et l’évidence d’un hymne. Gontard s’est débarrassé du second degré qui marquait parfois son écriture. Il évite ici soigneusement le syndrome de Katerine pour se tenir exclusivement du côté de ceux dont ils parlent et savourer son appartenance au groupe des perdants magnifiques.

D’une façon ou d’une autre, on n’est pas très loin de l’album idéal, qui parle à tous mais aussi à soi seul(e).

Tracklist
01. Le plein de super
02. La séduction
03. Femme d’entretien
04. Les Loups
05. Akene Guetno
06. La chanson de Cédric
07. Camion
08. Homme perdu
09. Mahalia Dooyoo
10. Anemone
11. Faillite
12. Le vent sifflera trois temps
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