Le précédent et premier disque de Haythem Mahbouli, compositeur tunisien vivant au Canada, était une réussite incomplète dont nous avions rendu compte avec intérêt. Last Man On Earth, son nouveau disque, est autrement plus convaincant et s’affirme comme l’un des projets instrumentaux les plus importants et intéressants de l’année.
Sur ce nouvel opus, le compositeur est au four et au moulin. Il joue du piano, du synthé, programme les ordinateurs et conduit en personne le Budapest Scoring Orchestra qui assure les magnifiques parties orchestrales de ce Last Man On Earth. Le projet est fondé sur un concept à la fois très lisible et très fort puisque l’album s’impose comme un album-concept et une sorte de space opéra (muet) d’anticipation poétique. Le canevas est simple : la Terre est foutue, devenue hostile et quasi inhabitable suite aux ravages causés par la pollution et l’activité humaine. L’humanité est en voie d’extinction. Un aéronef semble flotter autour du globe dans lequel survit (en mauvaise santé) le dernier homme, lequel entreprend une dernière excursion sur Terre avant de s’éteindre lui-même. On pense à After Earth, le film mal aimé de Night Shyamalan ou encore et plutôt à la sensation dramatique et soyeuse qui se dégage du film Gravity. Mais la musique de Haythem Mahbouli est plus intense et plus profonde que toutes les images. L’immersion sonore est fantastique, mêlant des passages contemplatifs ambient et des épisodes presque spectaculaires où l’orchestre s’en mêle. Last Man on Earth émeut et enchante avec une facilité qui étonne et nous ramène (dans le champ littéraire) au magnifique roman à la trame très similaire de Céline Minard, le Dernier Monde, écrit en 2007.
C’est dans ce même registre, déjà absent et dépassé, déjà éteint, mais si juste et émouvant (puisque dernier) qu’opère la musique du compositeur. Chaque note, dans ce contexte, prend une importance incroyable, une solennité triste et presque radicale qui impressionne et met l’auditeur en situation de fragilité. Le premier mouvement, The Chosen Ones, est ample et glorieux. Venu de l’illustration sonore, Mahbouli y intègre des samples de fin du monde efficaces qui renforcent la dramaturgie d’ensemble. Les six minutes de Farewell To Earth sont merveilleuses et planantes. Il se dégage un sentiment de beauté incroyable à l’écoute, qui donne l’impression qu’on contemple réellement le paysage étendu à nos pieds/oreilles pour la dernière fois. La composition de Mahbouli est précise, cohérente, antispectaculaire et sans tape à l’oeil mais magistrale et ample et grandiose. On fait nos adieux à genoux à The Abandoned Ones avant de se souvenir la larme à l’œil du monde d’avant sur le somptueux Flashback. Avec son montage d’échos et de cour de récré, Mahbouli porte un regard nostalgique et rêveur sur nos belles années, avant d’ouvrir la possibilité d’une renaissance (bien vite avortée) sur un plus classique et vibrant New Home. Y a-t-il encore de l’espoir ? Ou est-ce que cette lumière est un songe ou un simple phénomène électrique qui s’amorce dans un esprit condamné ? Le disque se tend une dernière fois avec The Great Flood. La dernière pièce est la meilleure. Le chant renvoie directement aux pièces vocales d’Arvö Part et à la musique sacrée. The Last Man On Earth est un mouvement remarquable de cinq minutes et quelques qui achève de faire de cet album un disque émotionnellement parfait, lyrique sans lyrisme, poétique sans emphase et juste de 1001 façons.
Le compositeur y réalise entièrement un potentiel esquissé sur sa précédente livraison et qui dépasse, cette fois, de beaucoup le champ ambient dans lequel il oeuvrait jusqu’ici. The Last Man On Earth est un disque aussi puissant qu’un livre d’images. C’est probablement la musique de film sans film la plus intense et la plus réussie de l’année.