Ils sont là, ils sont beaux, plus vivants que vivants. Simple Minds nous livre son dix-neuvième album dans un apprêtement de toute première fraîcheur. De nos jours, on déteste l’âgisme prédominant à feu doux, d’autant plus quand celui-ci est injustifié. Le groupe de Jim Kerr et Charlie Burchill, possiblement le plus important de cette pop-rock glacée que l’on nomme encore new wave, a toutes ses dents, prêt à mettre au piquet tous les prétendus rockeurs en couche-culotte.
En avoir plein le cœur
Le constat s’impose dès les premières minutes. C’est avec ébahissement que le groupe retrouve la niaque de sa prime jeunesse. Conçu, lui aussi, en pleine crise sanitaire, on n’avait pas entendu un album de vétérans aussi tonifiant depuis Mathusalem. Le premier titre, Vision Things, dédié au père de Kerr, nous conditionne et rappelle qui sont les tauliers du rock celtique. On reconnaît vite nos anciens copains de route, accueillis à bras ouverts : la ligne de synthé sonne présente, toujours aussi onirique et venteuse ; le précipité de guitares pour électriser les foules est là ; quant à la voix de Kerr, elle tient la dragée haute, menant le vaisseau à la maison. Le temps a fait son œuvre : ce n’est plus le timbre des albums Life In a Day (1979) ou New Gold Dream 81/82/83/84 (1982), celui-ci étant passé d’une voix de glace à une plus enflammée. C’est ce souffle incantatoire traversant l’album qui a fait la signature du groupe, et celui-ci trouve sa forme la plus mûre ici. On ne sait combien de temps durera encore l’histoire, mais c’est d’elle dont on se souviendra. Oui.
De ce nouvel album émane alors une incroyable joie. Human Traffic est en soi un pur morceau de bravoure, tout aussi rock que pop. L’ami Russel Mael des Sparks prête main et voix fortes, et les accords et harmonies déployés semblent d’une efficacité imparable. L’album atteint ce parfait entrelacement de guitares pleines d’une chaude énergie, de battements chamaniques et de tonalités synthétiques à la froideur argentée. L’ensemble se noyaute parfaitement au creux de l’oreille, nos batteries ainsi chargées. L’album est truffé de ces sortilèges sonores, qu’il s’agisse de gimmick de lignes cristallines ou de psalmodies incantatoires (le « only » tarabusté comme un mantra invoquant les liesses). Même sur un titre plus faible comme First You Jump, l’album fait pleuvoir des grilles de guitares sans prévenir son audimat. Mais ça, c’est avant que le groupe nous fasse un Solstice Kiss de la mort. Le travail de réverbération y est tout bonnement stupéfiant. Kerr et sa bande semblent presque invectiver de l’œil leurs rivaux de toujours et dire, le sourire dans la voix : « bah alors, les U2, vous en dites quoi là, hein? ». La basse chauffe la foule, les synthés sortent en grande pompe et les guitares hurlent à l’assaut, libérant ainsi les sacro-saints courants d’air d’Écosse alternant le chaud-froid, là encore une marque du groupe trouvant sa parfaite mesure. La vocaliste Sarah Brown – fidèle en son rôle d’arrière-ligne, et qui évoquera nos souvenirs de All The Things She Said – achève de nous catapulter dans un valhalla sonique.
Heureux les simples d’esprit…
L’album n’invente pas l’eau chaude, mais il est d’une charité telle qu’on s’incline et baise des mains. Il reste un excellent cru, plus glorieux et fier que Walk Between Worlds (2018). Ça vous décape et vous requinque, cet enthousiasme. De quoi rendre aussi rouge les joues proprettes de Coldplay et consort. Kerr pousse la voix dans des retranchements insoupçonnés le temps d’une reprise de The Call, la galvanisante The Walls Came Down, feu ce groupe ayant d’ailleurs (musicalement seulement) toujours été assez frontalier à l’univers musical des Simple Minds. Les guitares y conservent leur juste tranchant, et Berenice Scott fait toujours aussi bien scintiller ses notes de clavier, gloire à Burchill de lui avoir confié la formule. C’en est presque une recette de grand-mère dont seuls elles savent le secret. On se surprend à penser aux Depeche Mode et au piano électrique de Strangelove sur Natural, morceau criard mais addictif. Dans cette maîtrise totale des éléments, la texture sonore atteint une mécanique implacable de composition typiquement 80’s, et pourtant, ces trucs et astuces (écoutez par exemple ce simple carillon à 2’34 de Who Killed The Truth?, vous en direz des nouvelles) ne renferment aucunement ce disque dans cette décennie. D’ailleurs, cette puissante maîtrise pointait son museau dès les premiers albums, fin des années 1970. On réalise alors quelque chose de formidable au contact de cet album, dépassant celui-ci pour se porter à l’étendue du groupe : cet album a ce miracle de n’appartenir à aucune époque ; il n’appartient qu’à ses auteurs. Il ne faudra plus dire, « cela sonne 80’s! », non. Il faudra dire, « cela sonne Simple Minds », oui.
Planet Zero, dont on devine le message écologiste, a ce quelque chose de guerrier, mais d’une combativité non agressive, dénuée de cette nocivité qu’ont les actuelles âmes perdues. En groupe de son temps, Simple Minds garde une foi irrécupérable en l’homme. L’effet en est exaltant, puissamment positif. Et c’est cette croyance de Kerr se traduisant en rituel, se transformant en énergie pure insinuant compositions et musiciens. Act of Love en est le parangon. Outre le fait d’être un titre attendu de beaucoup et chargé d’une dimension symbolique lourde dans leur carrière (il fut un des premiers morceaux-essais du groupe joué dans les tavernes d’Écosse, en 1978, sans jamais avoir été enregistré), arrêtons-nous sur le titre en soi. « Acte d’amour »… quel titre…! Dédier son entière vie à la création, voilà une œuvre de piété, nous faisant remonter loin loin à leurs appellation et nature sacerdotales : ce groupe a une mystique. De par leur longueur, Act of Love et d’autres, faisant mine de se conclure pour en fait se relancer par à-coup (les titres dépassent en moyenne la barre des 4 minutes), témoignent d’une envie ludique de jouer avec les fans tout comme d’en découdre. Relativement à sa démo de l’époque, le morceau gagne ainsi toute la maturité du groupe dans la confection de sa grammaire musicale, tout en gratinant dessus d’épatantes paroles que le Kerr d’aujourd’hui adresse au Jim d’hier, rassurantes. Quelle belle manière de refermer la boucle sur elle-même… sans pour autant la conclure!
Même les morceaux moins signifiants comme Wondertimes sont abondants dans leur emphase. Les fans les plus rétifs trouveront l’album trop expansif, une observation juste mais qui ne doit aucunement leur faire oublier le retour tardif et molasson d’anciennes gloires comme Tears For Fears et leur Tipping Point. Direction to the Heart, avec sa juvénilité abrasive, dépasse même celui accidenté (mais excellent) de The Stranglers avec Dark Matters. Le dernier album des Simple Minds n’a peut-être rien d’exceptionnel, mais sa gourmandise et son extravagance constituent un excellent feu d’artifices final s’il en est. Il est si débordant de tout, traversé par une telle poussée de jeunesse, si pêchu et euphorisant, que l’on prie pour payer la prochaine tournée.
02. First You Jump
03. Human Traffic
04. Who Killed Truth?
05. Solstice Kiss
06. Act of Love
07. Natural
08. Planet Zero
09. The Walls Came Down
10. Direction of the Heart
11. Wondertimes