Le punk n’est pas mort, c’est le monde qui a trépassé. Cela faisait un bail qu’on attendait le premier album studio de Heads Off, le groupe de notre chouchou de Sheffield Danny Lowe. Comme nous l’avions annoncé en décembre, Ad Absurdum n’aura pas mis longtemps à débarquer dans cette nouvelle année puisqu’il est sorti le 1er janvier pour le plus grand plaisir de nos oreilles dissidentes.
Composé de 11 chansons menées (presque toutes) tambour battant et pied au plancher (ou à la pédale d’effet), Ad Absurdum porte un regard acerbe et plus que critique sur l’état du monde moderne. La musique est racée, hargneuse, punk et distordue. Les textes sont caustiques, ironiques et gentiment excessifs. D’aucuns trouveront que la mécanique Heads Off est un rien brouillonne et difficile à suivre mais ce serait rater la filiation punk psychédélique section lo-fi dans laquelle évolue le groupe. Propaganda Machine, un classique du groupe, reste l’un des titres phare d’un album qui balance à tout va et où les instrumentaux sont aussi tordus et déjantés que les voix. La musique Heads Off a un côté trash et pas propre sur elle qui peut déconcerter, un côté provocateur et résolument rentre dedans qui n’est pas habituel mais témoigne de l’audace et de la vivacité des compositions. Psychopath évoque la folie au grand cœur, quand No Fucks Given, notre morceau préféré, s’impose comme un superbe mantra nihiliste. Heads Off dénonce, appuie là où ça fait mal et rudoie avec le même talent allègre les politiques, les médias et les grandes entreprises. Les fous courent dans les prés fleuris (Psychopath), tandis que les rythmiques battent à des cadences affolantes sur Pussycat. Heads Off frôle parfois la sortie de route quand l’élan l’emporte sur l’harmonie (le très mécanique Reality Sandwich) mais retombe le plus souvent sur ses pattes, ce qui compte tenu de l’urgence qui se dégage ici, est un véritable exploit. L’album lui-même n’est pas exempt de réussites poétiques à l’instar du toujours chouette None Of The Above. La structure punk virevolte entre les époques, sonnant tantôt comme un appendice speedé des Kinks, une version sous-amphét de jeunes Supergrass post-marxiste,une usine à basse de Manchester (sur Hey You ou They Dont Care About Us) ou encore un clone hardcore des Television Personalities, pour le caractère iconoclaste et joueur. Attention tornade rouge. Cet album est confit de tubes et d’hymnes incendiaires qui sont parfaits pour mettre le feu à une chambre d’ado (ou de trentenaire égaré).
En résumé, l’album porte assez bien son nom et mérite qu’on s’y arrête plutôt deux fois qu’une. L’aspect confus et désordonné disparaît au fil des écoutes pour révéler une belle densité et une variété des approches qui est quelque peu maquillée sous l’ardeur de l’ensemble. La voix de Danny Lowe elle-même se travestit d’une pièce à l’autre, ne sachant pas sous quelle forme (écho, nue ou filtrée) proclamer sa colère. L’originalité du groupe n’a d’égale que sa hardiesse. Heads Off a 1001 visages. Il n’est pas certain qu’en choisir un soit nécessaire, tant il y a de coups de boule et de gnons à distribuer. Les Français sont généralement amateurs de ce genre de rock combatif et un brin garage. On espère que Heads Off finira par gagner du terrain dans l’Hexagone. C’est tout le mal qu’on leur souhaite.
Heads Off – Ad Absurdum