Un an après leur premier essai infectieux, Ad Absurdum, les Heads Off sont de retour dans une forme éblouissante avec un deuxième album virevoltant et rageur, politique et mélodique en diable. Emmenés par leur chanteur, leader et compositeur exclusif Danny Lowe (qu’on retrouvera à contre-emploi en septembre en tant que bassiste chez Babybird), le groupe de Sheffield démarre comme d’habitude pied au plancher, multipliant d’emblée des titres au charme et à l’énergie ravageurs comme Put Down The Fish, incroyable charge sur les fake news et les leaders de ce monde, ou l’épatant Woke. Seuls deux titres émargent timidement au-delà des trois minutes. Pour le reste, on retrouve l’insolence et la brièveté du meilleur punk. Woke, à l’ouverture, est une tuerie portée par des riffs crades et régressifs. « La vie est si bas de gamme », chante Lowe, « de toute façon, on aurait tous du rester des poissons. Alors, reviens te coucher » Cette idée d’une évolution régressive est au cœur d’un album critique et qui porte un jugement cynique et désespéré sur le cours du monde. Depuis Russian Trolls (chanson sur Poutine… et Trump) jusqu’à l’hilarant, I Am A Man, qui cause féminisme et indécision, Lowe s’en donne à cœur joie. « I am a Man. What do you want me to be ? You want to be put be in a box i see. You raise my individuality.», interroge-t-il le sourire aux lèvres en prenant un accent à la John Lydon.
Le festival continue avec l’incisif The Void. « Do you think to lose is winning ? Do you think the world is crazy ? » Un orgue à la Inspiral Carpets secoue la mélodie à l’arrière-plan tandis que la chanson évolue en mode psyché-punk. Lowe est d’une intelligence remarquable, joueur et constamment décalé par rapport à son propre chant, il fait l’effet d’une tornade, presque trop rapide et désordonné pour ce qu’on peut encaisser. The Slippery Bits ne nous accorde aucun répit. Toutes les chansons, ce qui est assez rare pour être souligné, se situent dans un uptempo affolant qui dit l’urgence et l’énergie qu’il y a ici en réserve. Que dire du merveilleux Sexy Car qui ressemble aussi bien à un Kinks qu’à un vieux Sham 69 ? Dave Attwood, à la batterie, et Ian Hutchinson, à la guitare, suivent le rythme d’un leader exalté et qui marche sur l’eau. Le chant est phénoménal, autant craché que chanté, ce qu’on n’avait pas vu ni entendu depuis une éternité sur un disque punk rock. ACDC rencontre les Happy Mondays sur le surprenant Race To Bottom, chanson binaire sur…. les dégringolades sociales éclair et la manière de ramper vers le haut de l’échelle.
Mais l’album n’est pas que fureur et électricité. In My Head est à l’échelle du disque une jolie chanson pop qui sert de marchepied vers l’amusant Nihilist, réflexion miniature et chorale sur le…. nihilisme contemporain. Sans y toucher, Lowe propose tout au long du disque une série d’analyses politiques et de satires qui renouent avec la tradition critique des premiers punks. On a beau sentir la fatigue sur le moyen Lizard 2 Lizard, on retrouve des couleurs avec le brillant et accrocheur, More Money, mini tube en puissance où l’on vient nous piquer, couplet après couplet, tout l’argent qu’on avait encore. L’analyse économique de Lord Trickle Down est parfaitement adaptée à notre temps où on nous explique que l’enrichissement des riches rejaillira sur nous… un jour, mais c’est Hollywood qui remporte la palme de la chanson la plus gracieuse et irrévérencieuse ici. Lowe y atteint un point d’équilibre magistral entre la leçon sociale et la légèreté pop, qui en fait un des meilleurs morceaux du disque.
The Slippery Bits est un album très réussi, précieux par son contenu, engagé, politique mais aussi brillant pour le regard décalé avec lequel il aborde la merde incroyable dans laquelle le monde s’est fourré. C’est aussi un pur disque de punk rock à l’ancienne qui fourmille de riffs irrésistibles, de mélodies binaires et de coups de savate portés sans ménagement à la carotide. The Slippery Bits est encore plus solide, inventif et cohérent que son prédécesseur. C’est un disque indispensable, en d’autres termes, pour survivre à la rentrée (anti)sociale et aux agressions du temps.