Television Personalities / Beautiful Despair
[Fire Records]

8.2 Note de l'auteur
8.2

Television Personalities - Beautiful DespairCeux qui dédaignent les rééditions et sorties d’archives plus ou moins posthumes (on sait désormais qu’il n’y aura – sauf miracle – plus aucune nouvelle musique produite par le groupe, en raison de l’état de santé de Daniel Treacy), pourront prendre cette pépite des Television Personalities en contre-exemple. Beautiful Despair est un joyau qui ne vient pas concurrencer les albums originaux du groupe sur le terrain de l’excellence mais apporte (ce qui devrait être le but de tout travail sérieux) son lot de surprises et d’enseignements.

Retrouvé dans ses cartons, on l’imagine par Jowe Head, et offert sur un plateau à Fire Records qui s’occupe des rééditions du groupe, Beautiful Despair rassemble quinze morceaux enregistrés en 1990 dans l’appartement du bassiste. A cette époque, Daniel Treacy vient de sortir du brouillard. Il a sorti l’album Privilege après cinq années d’éclipse et veut enchaîner très vite. Les chansons se bousculent dans sa tête et l’homme ne souhaite pas perdre de temps. Il veut saisir les morceaux le plus vite possible avant qu’ils ne lui échappent. Fidèle à sa méthode, il souhaite que l’enregistrement soit vif, lo-fi comme on dira plus tard. Beautiful Despair naît en quelques sessions, dans le living de l’ancien Swell Maps, la chambre. Treacy et Jowe Head sont seuls avec une guitare, une basse et un synthé qui tient lieu de batterie, quelques instruments de percussion. Le résultat est somptueux : une collection de chansons qui, à peine enregistrées disparaissent. On ne sait pas au juste ce qui aura empêché à Beautiful Despair d’exister en tant qu’album, ni si ce qui sort aujourd’hui correspondait à un projet complet, achevé et unitaire. Toujours est-il que Treacy oublie les bandes et part sur autre chose. Il faudra plusieurs mois (1991-92) avant qu’il ne retourne dans un studio et enregistre pour de bon le sixième album du groupe, et l’un de ses meilleurs, Closer To God. Une bonne partie des chansons enregistrées avec Jowe Head s’y frayent un chemin et y figureront dans des versions plus arrangées et parfois avec des textes différents. Il est très probable que Treacy ait oublié l’existence de pas mal d’autres. C’est évidemment tout l’intérêt de la découverte.

Beautiful Despair comporte plusieurs morceaux impressionnants. How Does It Feel To Be Loved en fait partie. New wave et en même temps intimiste, le morceau s’appuie sur une rythmique élémentaire et un motif de basses imparables. Dansant et mélodique, la chanson est angoissante et enfantine, touchante et bouleversante. « Don’t say a word/ I know just how it feels/Don’t be ashamed/You’re not the one to blame/ How does it feel to be loved the way you are/ Tell Me/ How does it feel when you are down ?/ Does it feel as if you re drowning ?/ Suffocating gently in your sleep…. »  Le chant de Treacy est à la fois fragile et autoritaire, si bien qu’on ne sait s’il est victime ou acteur du désamour. On retrouvera le titre plus tard sur Fashion Conscious dans une version bien moins convaincante. La chanson est parfaite. Presque autant que celle qui suit et qui donne son nom à l’album. Là encore, le motif de guitare est irrésistible. Treacy exprime son sentiment de tristesse et de détresse d’une façon imparable. Le rythme est ralenti, la basse à l’arrière-plan. Les ponts sont incroyables de désolation. Cette chanson et quelques autres (I Get Frightened Too, I Dont Want to Live This Life) font de Beautiful Despair le prototype précoce des albums lo-fi qu’enregistrera Treacy sur la fin de sa carrière. Le dispositif est identique, minimal et repose en grande partie sur l’expression d’une émotion saisie au plus près de son symptôme. La mélancolie, l’angoisse, la dissolution sont au cœur des morceaux. Le dosage entre dignité et épanchement est bon. Treacy garde sa position de chanteur même si la distance entre lui et la phrase a été progressivement abolie. Comme souvent chez Treacy, on rigole bien aussi. La pochade If You Fly Too High est excellente. Jowe Head et Treacy semblent en plein trip. Ils flottent au- dessus du morceau en chantant de façon laid-back, les yeux révulsés et les cheveux dans les étoiles. « Si tu grimpes trop haut, chantent-ils en se marrant comme des baleines, tu vas retomber en t’écrasant la gueule » La chanson est née probablement de la rencontre entre Evan Dando et Treacy.

Plus loin, on trouve des versions très intéressantes de titres emblématiques du groupe : la version de Goodnight Mr Spaceman est plus digeste que celle qui figurera sur l’album. Le texte est sensiblement différent. Treacy confia plus tard qu’il n’aimait pas enregistrer les chansons et préférait les faire évoluer à travers les âges. On en a un excellent exemple ici. On s’amuse presque à découvrir, sur un mode quasi léger, les premiers pas du terrible My Very First Nervous Breakdown, chanson qui gagnera en dureté et en tragique avec les années. Hard Luck Story Number 39 qui ouvre l’album apparaît dans une version absolument géniale, plus légère et moins psychédélique que sur l’album. C’est également le cas pour l’une de nos préférées : Honey For The Bears qui, dans cette version quasi acoustique et dépouillée, est d’une beauté extraordinaire. Beautiful Despair se referme par le somptueux This Heart’s Not Made Of Stone, dans une version là aussi très sensible et précise.

Les chansons présentées ici ne sont pas de simples démos mais des versions réellement alternatives de morceaux qui seront recréés par la suite avec d’autres moyens. Il y a un véritable intérêt à les présenter avec cette simplicité et cette économie d’effets. Si les Television Personalities ont été tenus par pas mal de groupes comme les précurseurs du lo-fi, Beautiful Despair constitue un parfait témoignage de l’avance qu’ils avaient, en 1990, sur le genre à venir. Mais par de-là les affaires de genre, c’est, dans le plus simple appareil, la qualité mélodique des compositions qui sautent aux yeux et aux oreilles, la justesse de l’expression des sentiments et l’extrême sincérité de l’expression musicale. La réévaluation est en marche. Gageons qu’elle ne s’arrêtera pas de sitôt.

Tracklist
01. Hard Luck Story Number 39
02. Razor Blades and Lemonade
03. How Does It Feel To Be Loved
04. Beautiful Despair
05. Love Is A Four Letter Word
06. If You Fly Too High
07. I Get Frightened Too
08. Goodnight Mr Spaceman
09. Honey For The Bears
10. I Dont Want To Live This Life
11. I Like That In A Girl
12. My Very First Nervous Breakdown
13. Suppose You Think It’s Funny
14. Have A Nice Day
15. This Heart’s not Made Of Stone
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