Joel Johnston est un jeune homme pressé. C’est vrai, l’impression que Ways To Get Out, le premier album de son groupe / projet intime Far Caspian n’est sorti qu’avant-hier est tenace. C’était en réalité il y a un peu moins de deux ans mais l’irlandais à présent installé à Leeds l’a tellement fait vivre, surfant sur un accueil chaleureux plus que mérité des deux côtés de l’Atlantique, à coup de tournées et de rééditions (deux déjà) que ce sentiment de proximité perdure sans peine. Ce d’autant plus que ce qui fut l’une des révélations de cette année 2021 n’a cessé depuis de nous accompagner, comme l’un de ces petits joyaux dont on n’est pas prêt de se lasser et dont en fin de compte on ne cesse de découvrir les petits détails qui en font toute la richesse. Dès lors, l’annonce de la sortie de son successeur en plein été dernier avait de quoi dérouter, comme une sensation de vouloir occuper à tout prix le terrain et pousser son ainé à faire de gré ou de force un peu de place. Joel Johnston serait donc de la trempe de ces artistes qui écrivent comme ils respirent, comme l’hyperactif Robert Pollard de Guided By Voices ou le regretté Jean-Louis Murat qui, avec la morgue qu’on lui connaissait, ne supportait plus depuis longtemps ces questions sur les enchainements d’albums et renvoyait systématiquement à ces groupes des années 1960 qui composaient et enregistraient à la chaine pour sortir régulièrement plusieurs disques par an, sans aucunement en altérer la qualité. Oui, mais à une époque où le marché, car même les niches indés constituent un « marché », n’était pas arrivé au point de saturation actuel.
The Last Remaining Light ne pose pas que la question de la surproduction et de la place que chaque groupe ou artiste tente de se faire dans les discothèques ; il renvoie aussi à ce que Far Caspian en l’occurrence a à nous dire. Que reste-t-il, une fois la surprise (relative) du premier album passé ? On le dit souvent, l’étape du second disque s’avère généralement cruciale dans sa façon de démontrer une certaine capacité à ne pas tourner en rond, à envisager une évolution même sensible de la proposition artistique, s’inspirer de nouvelles expériences récentes, des voyages en tournée, d’une expression scénique en bande, surtout pour un artiste féru des enregistrements solo à la maison, de rencontres avec d’autres musiciens ayant eu leur petite influence, etc. Mais il est vrai qu’on comprend aussi toute la frustration issue de la gestation d’un premier album souvent conçu dans le temps long entre les premières démos et sa sortie physique au point qu’il en devient urgent, primordial, presque vital de passer rapidement à autre chose de plus actuel, de plus en phase avec les aspirations du moment.
Sauf que sur The Last Remaining Light, elles peinent à transparaitre. Si l’on excepte un travail revendiqué sur le rendu de la rythmique, de la batterie en particulier, centrale dans le mixage mais curieusement rappelant aussi au final certaines productions un peu lo-fi du début des années 2000, rien, strictement rien n’a bougé depuis Ways To Get Out. The Last Remaining Light pourrait tout aussi bien être un disque bonus d’une n-ième réédition du premier que l’on n’y aurait vu que du feu. Entendons-nous bien : rien de rédhibitoire non plus. Si Far Caspian peine sur ce second album à nous amener ailleurs que dans l’univers que nous n’avions sans doute même pas fini de parcourir sur le premier, ce second voyage en terre connue demeure plutôt plaisant, à défaut de convaincre totalement. On y retrouve, forcément, les mêmes ingrédients qui faisaient tout le charme de la découverte du groupe il y a deux ans. Même voix charmeuse, même sens mélodique aigu, même capacité à susciter à l’écoute du disque des émotions positives et agréables. Caresses auditives et frissons qui parcourent l’échine sont de mise et on se laisse prendre dans l’emballement d’un disque qui s’achève sur une de ces petites merveilles pour soirées romantiques et plus si affinités, lumières tamisées, orchestre en smoking, intro au piano et petite guitare jazzy qui finit par s’encanailler accompagnant un chanteur de charme plus persuasif que jamais.
Seulement voilà, ce Pool torride et humide est, avec le chouette single Arbitrary Task qui nous faisait croire au printemps en une suite bien plus excitante, l’un des rares morceaux à véritablement se démarquer. Tout au plus concèdera-t-on aussi à Own son mid-tempo lascif et cette belle montée des plus classiques mais exécutée avec maitrise. Pour le reste, on l’a dit, Ways To Get Out est encore trop présent à l’esprit pour ne pas faire figure de maitre-étalon. Souvent, trop sans doute, les morceaux des deux albums se placent naturellement les uns en face des autres dans une inévitable comparaison inconsciente qui tourne systématiquement à l’avantage de l’ainé. On adore le banjo de Answer, un instrument qui, sorti de son contexte blues, d’accorde à chaque fois admirablement avec des ambiances plus pop, mais il ne parvient jamais à faire oublier celui qui illuminait le merveilleux Pretend. Cyril, tirade plaintive soulignée par un violon qui n’en finit plus de geindre est plutôt jolie et bien ficelée, mais strictement incapable d’arriver à la cheville d’un Our Past Lives de toute beauté qui vous noue encore le ventre à chaque écoute. Normal alors que seul le bonus track digital présenté en deux partie, Heirloom, fasse office d’exception. S’il ne correspond pas en effet à la logique du disque, force est de constater que sa structure plus complexe, soulignée par quelques envolées de cuivres un peu free et des guitares un peu sales s’avère au final plutôt intéressante et offre une proposition un peu nouvelle de la musique de Far Caspian. Pour la prochaine fois ?
Difficile d’en vouloir à Joel Johnston d’avoir, pour plein de raisons qui lui appartiennent et qui sont certainement très bonnes, on respecte trop les artistes, leurs choix et leur œuvre pour en douter, voulu donner si vite avec ce second album une suite rapide et directe à l’inaugural Ways To Get Out. Si l’on comprend l’idée nécessaire pour lui de passer à autre chose, c’était sans compter l’impact, qu’il mesure probablement par ailleurs, d’un premier album particulièrement réussi. Qu’on se rassure, l’histoire regorge de seconds albums en forme de rendez-vous manqués qui ont permis de mieux rebondir ensuite. Faire carrière, c’est aussi susciter de l’intérêt, se faire oublier pour mieux revenir, laisser aux fans le temps d’expérimenter cette sensation d’aller au bout d’un disque et d’en avoir fait le tour. La balade autour de The Last Remaining Light sera sans doute de courte durée mais elle a au moins le mérite de mettre en relief l’incroyable richesse d’un premier album qu’on n’a pas fini d’explorer ; en attendant la suite, la prochaine.