The Folk Implosion / Music for Kids
[Domino]

8.5 Note de l'auteur
8.5

The Folk Implosion - Music for KidsSi on se souvenait parfaitement de l’utilisation du motif de Nothing Gonna Stop dans le film Kids de Larry Clark, sorti en 1995, on avait à peu près complètement oublié que Lou Barlow et son The Folk Implosion étaient impliqués à ce point dans la bande originale du film et avaient composé autant de morceaux pour servir le scénario d’Harmony Korine. C’est donc rétroactivement qu’on ira lancer en un « mais c’est bien sûr! » faussement intelligent pour tenter de dénouer toutes les intrications méta-culturelles d’un disque (qui rassemblé quasiment trente ans après) entre en collision (mythologique) avec un film culte et référentiel dont plus personne… ne se souvient aujourd’hui ou presque.

Pour les plus jeunes, Kids est le film d’un vieux photographe (qu’on qualifierait sans doute de pédophile selon les standards d’aujourd’hui), Larry Clark, qui s’intéressa de manière assez naturaliste à la vie quotidienne (et sexuelle) des adolescents new-yorkais des quartiers populaires dans les années 90. Le film est réputé aussi pour avoir lancé la carrière de Chloé Sévigny, celle de Harmony Korine qui s’illustrera plus tard à la réalisation sur le très recommandable Gummo. C’est surtout une peinture ultra-réaliste d’une adolescence en perte de repères qui passe son temps à traîner, à baiser, à consommer de la drogue et à s’exposer au risque mortel représenté par le Sida. Le film débute par le dépucelage par un mec plus âgé d’une fille de douze ans. On parle un peu plus loin de fellations et d’un tas d’autres trucs comme le skate et la marijuana. C’est à la fois choquant, très arty et plein de grâce, Clark étant passé maître dans le rendu lascif et esthétique des corps d’ados à poil. Il prolongera son travail dans nombre de films plus ou moins cultes et réussis comme Another Day in Paradise, Bully, Ken Park ou encore Marfa Girl.

A l’issue d’une correspondance suivie avec Harmony Korine, Lou Barlow, éjecté vers 1989-1990 du Dinosaur Jr et à la tête de Sebadoh, puis de la franchise récente The Folk Implosion (dont le premier disque sort l’année précédente), est appelé sur le projet. Il fait figure en 1995 de anti-héros magnifique d’une ère indie qui a cru sans commune mesure avec le succès de Nirvana. Le skate est aussi cool que les cheveux gras et le rock à guitares foutraque, punk et relâché un marqueur de coolitude absolu qui se traduit, chez Barlow, par l’envie d’aller encore plus loin dans l’épure, l’anonymat et la clandestinité. Le Bakesale de Sebadoh est un modèle du genre, bientôt suivi par Take A Look Inside, le premier disque du groupe qu’il forme avec John Davis, un fan qui devient son copain et comparse.

Davis et Barlow se retrouvent ainsi à Boston où on les installe dans un studio tout équipé et assez fourni en instruments pour composer sur des scènes de Kids qui sont projetées devant leurs yeux. C’est dans ce contexte qu’émergent les quelques plages et chansons qui finiront finalement sur la BO mais aussi toutes les pistes et idées qui sont désormais rassemblées sur ce double CD assez épatant et passionnant. On se souvient qu’en 1995 une compilation rassemblait des titres autour du film mais aussi que les morceaux les plus marquants, en dehors de Natural One (le plus connu… mais qui ne figurait pas dans le film), n’étaient pas forcément ceux du Folk Implosion. Le disque hébergeait Daniel Johnston, Slint et quelques autres en plus d’une petite dizaine de morceaux du Folk Implosion dont on ne se souvenait pas tous.

On retrouve sur ce double CD les pièces qu’on connaissait mais aussi un tas d’autres et en bonus (disque 2) cinq titres excellents (les mêmes) issus d’une session enregistrée live en 2023. Par delà le contexte devenu historique (la BO culte d’un film culte par un groupe culte – c’est assez !), cette sortie est l’occasion d’apprécier la finesse et l’excellence du travail de Barlow et Davis dans un registre qui n’est pas exactement celui, assez rustre, qu’on leur connaît à travers les productions du Folk Implosion. On passe sur le hit absolu qu’aurait du être Natural One, un vrai et beau classique de folk punk : il y a sur Kids des séquences surprenantes et de toute beauté à l’image d’un Wet Stuff expérimental où la basse de Barlow emmène un simple motif de piano vers des territoires trip-hop crépusculaires fascinants. La voix est effacée, envahie par des samples dans un montage hypnotique et répétitif. Daddy Never Understood est une brutale charge punk qui anticipe sur les montées en énergie d’un Jay Reatard. On pense à la réécoute de Simean Groove aux rythmiques syncopées d’un RZA pour le Ghost Dog de Jim Jarmush (1999) comme si se dessinait une singulière filiation de l’errance en paysage urbain. Le rajout par le duo de chants de loup à un arrière-plan qui semble hanté par des pales d’hélicoptères confine au génie. La BO est fragmentée, inégale mais aussi savante et presque toujours surprenante. On imagine que Barlow et Davis ont utilisé tous les instruments qui se trouvaient en leur possession pour s’amuser et tenter de dégager des motifs/sensations correspondant aux images de Clark. Cela donne des séquences minimalistes sublimes et inattendues comme sur Raise The Bells ou encore Park Dub, variation… dub qui dure un peu plus d’une minute, à côté de chansons plus traditionnelles mais tout aussi réussies comme Burning Paper.

Il y a un intérêt véritable à découvrir trente ans plus tard des plages qu’on ne connaissait pas comme l’excellent Wide Web qui ressemble autant à du Low qu’à du Folk Implosion. On a droit en bout de disque 1 à des remixes de UNKLE et surtout à un remarquable travail des Dust Brothers sur Insinuation un autre morceau qu’on ne connaissait pas. Ceux qui ne jurent que par le génie de Lou Barlow sortiront de l’écoute de ce disque confortés dans l’idée qu’il faisait en 1995 une musique presque en avance sur son temps et presciente. C’est ce qui dégage de ce travail : une modernité effrayante, une capacité à expérimenter depuis un territoire à peine balisé, mêlant électro, jazz, punk et lofi folk. Il est assez étonnant qu’on ne découvre que maintenant à quel point le Folk Implosion de cette époque était avancé et préfigurait ce qui viendrait bien plus tard.

Paradoxalement, les versions 2023 données en live sur le disque 2 relèvent d’une approche plus rock classique que celles du disque 1. Elles sont toutes aussi séduisantes et marquantes mais perdent le caractère pionnier des premières. Nothing Gonna Stop fait penser à du Panther Burns avec Tav Falco et Alex Chilton au manche. On distingue à travers ce disque avec une certaine netteté les grandes lignes de convexion du rock américain entre le blues, le punk, le rock originel et l’indie folk.

Cette Music for Kids est un disque à redécouvrir de toute urgence et qui est aussi agréable à écouter qu’à commenter entre amis.

Tracklist
01. Natural One
02. Nothing Gonna Stop
03. Wet Stuff
04. Jenny’s Theme
05. Crash
06. Daddy never Understood
07. Simean Groove
08. Nasa Theme
09. Cabride
10. Raise The Bells
11. Insinuation
12. Burning Paper
13. Checking In
14. Wide Web
15. Park Dub
16. Natural One (UNKLE remix)
17. Nothing Gonna Stop (instrumental)
18. Insinuation (Dust Brothers remix)
19. Natural One (live 2023 session)
20. Crash (live 2023 session)
21. Nothing Gonna Stop (live 2023 session)
22. Jenny’s Theme (live 2023 session)
23. Wet Stuff (live 2023 session)
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