Luke Haines & Peter Buck / Beat Poetry For Survivalists
[Cherry Red Records]

8.8 Note de l'auteur
8.8

Luke Haines et Peter Buck - Beat Poetry For SurvivalistsCet album est une formidable réussite, à défaut d’être un album surprenant pour qui suit la carrière de Luke Haines et a pu jeter une oreille sur les travaux collaboratifs de Peter Buck depuis son départ de REM. Les deux hommes ont échangé pour la première fois parce que Buck avait passé commande d’un portrait de Lou Reed peint, sur le site du second. Haines a embrayé audacieusement et la nature a fait le reste. Ce Beat Poetry For Survivalists ressemble ainsi plus à l’album de « deux larrons en foire » qu’à une volonté de monter un supergroupe devant l’éternité. Les deux hommes donneront bien quelques concerts (anglais pour le moment) au printemps mais on est bien ici dans l’expérience de laboratoire autour d’une passion commune pour le rock alternatif et la culture anglo-saxonne.

Beat Poetry est le petit frère des albums précédents de Haines. C’est un catalogue d’obsessions culturelles passionnant et remarquable, avant d’être une collection de chansons qui bénéficie du renfort inespéré de Buck et de quelques-uns de ses collaborateurs récents. On pense à Scott Mc Caughey et à Linda Pitmon à la batterie. Ce vrai groupe anime les pièces de Luke Haines et leur confère une variété et un dynamisme qui bénéficient à l’ensemble de dix morceaux. On a déjà dit l’excellence du single, Jack Parsons, qui conjugue parfaitement le sens mélodique et l’intérêt qu’il peut y avoir pour le rock à ressusciter de telles figures culturelles. Luke Haines est animé par le même désir intellectuel de mettre en avant des héros souterrains que celui d’Alan Moore quand il écrit la Ligue des Gentlemen Extraordinaires. Il s’agit d’excaver de l’histoire des personnages réels ou imaginaires qui portent sur eux une dramaturgie surréaliste et fascinante. Cela marche à tous les coups. Jack Parsons est grandiose. Apocalypse Beach parle d’une radio fantôme qui émet du Donovan en permanence. On pense aux plages désolées de Long Island et à la plage abandonnée de Ballard. La narration est magnifique. Les arrangements qui mêlent un travail exemplaire à la guitare et des synthés analogiques à la Joe Meek donnent une texture étrange et occulte au morceau. Les chansons fonctionnent ainsi : à chaque fois une « situation » exotique, un personnage est mis en scène et sublimé par une ambiance sonore. On croise le Bigfoot sur l’excellent Last Of The Legendary Bigfoot Hunters. La rythmique tribale est sublime et le jeu de guitare à l’arrière-plan parfaitement dosé. Beat Poertry fait penser par son côté rentre-dedans et finalement assez agressif à Baader Meinhof.

Haines est encore plus incisif et inspiré que d’ordinaire. Cette rencontre lui fait un bien fou et lui redonne une vigueur toute américaine. Le morceau titre est délicieusement bringuebalant. Le piano appuie le propos et des flutiaux contribuent à lui donner une patine new-yorkaise à la Velvet Underground. Witch Tariff est plus classique. Le morceau vaut surtout pour la manière dont le groupe s’ébroue sur la seconde moitié. Buck et Haines font se rencontrer leurs influences. Buck amène de l’impact, là où Haines a tendance à s’essouffler ou à se répéter d’ordinaire. Cela n’empêche pas Andy Warhol Was Not Kind de ressembler à une chanson perdue de l’album sur le New York des 70s de l’ancien The Auteurs. On est moins fan chez lui de cette dimension rétro et on préfère quand il expérimente et fait n’importe quoi, à l’image du stupéfiant French Man Glam Gang. Le titre est une énigme qui ressemble plus à du Jowe Head qu’à autre chose. « Nous sommes Bonaparte », entend-on. « Nous nous habillons comme des flics. Retraite au salon. Chanter des chansons de Molotov. We are meat. We eat meat. » C’est un festival de trouvailles que Buck prolonge par un solo impeccable. C’est un pur bonheur.

Les trois derniers morceaux sont impressionnants. Le duo se chante en une machine garage féroce et baveuse. Ils exécutent Ugly Dude Blues à l’ancienne et le résultat est formidable. Bobby’s Wild Years est un hommage puissant et appliqué au rockabilly. Rock N’Roll Ambulance aurait fait un très bon titre des Auteurs. Le narrateur met en scène une sorte de Jugement dernier des rockeurs. « You always know what you gonna find in the Rock n’Roll AfterLife », chante Haines. « A choir of rock n’roll angels…. » Tradition et modernité se répondent tandis que les époques du rock à guitares s’interpénètrent dans un grand mouvement syncrétique. Luke Haines fait office tout autant de musicien que d’historien du mouvement. Il en donne les clés album après album, pas comme un savant ou un docteur chiant mais en se limitant à des travaux pratiques de premier plan qui en éclairent et soulignent les tangentes et les lignes de pente.

Beat Poetry For Survivalists est une pierre de plus pour la mythologie, précieuse, brillante et pleine de vigueur. On serait curieux cependant d’entendre à nouveau Haines chanter sur l’époque, le Brexit et le foutoir ambiant.

Tracklist
01. Jack Parsons
02. Apocalypse Beach
03. Last of The Legendary Bigfoot Hunters
04. Beat Poetry For The Survivalist
05. Witch Tariff
06. Andy Warhol Was Not Kind
07. French Man Glam Gang
08. Ugly Dude Blues
09. Bobby’ Wild Years
10. Rock n’Roll Ambulance
Écouter Luke Haines & Peter Buck - Beat Poetry For Survivalists

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