Nick Cave & Warren Ellis / La Panthère des Neiges Original Soundtrack
[Lake Shore / Invada Records]

7 Note de l'auteur
7

Nick Cave & Warren Ellis - La Panthère des NeigesA l’approche des fêtes et en attendant le durcissement des mesures sanitaires, on peut s’offrir un moment de paix, de détente et d’harmonie totales en zieutant La Panthère des Neiges, le documentaire de Marie Amiguet et Vincent Munier, consacré à l’observation de la panthère des neiges aux confins du Tibet par Munier (photographe animalier de son état) et Sylvain Tesson (écrivain voyageur et bavard bien connu). Le documentaire est splendide et bien meilleur que le livre où on n’entend (presque) que la voix de Tesson, envahissante et pleine de sagesse prétendue. Le film est silencieux et contemplatif là où le livre à trop vouloir nous faire la leçon et à faire dire aux choses ce qu’elles n’ont pas demandé, nous avait un peu fatigué. On ne voudrait pas jouer les mauvais coucheurs mais on peut aimer d’autres écritures de voyage que celle de Sylvain Tesson qui a le mérite d’établir un nouvel étalon sur le genre, autocentré et excessivement spirituel (à notre goût). C’est peut-être mal vu mais ce n’est pas avec ce genre d’extraits qu’on contribue à donner à l’observé un statut d’égal avec l’observant :

« J’attribuais à chacun des animaux une place sur l’échelle sociale du royaume. La panthère était la régente et son invisibilité confirmait son statut. Elle régnait et n’avait donc pas besoin de se montrer. Les loups vaquaient en princes félons, les yacks faisaient de gros bourgeois chaudement vêtus, les lynx des mousquetaires, les renards des hobereaux de province tandis que les chèvres bleues et les ânes incarnaient le peuple. Les rapaces, eux, symbolisaient les prêtres, maîtres du ciel et de la mort, ambigus. »

Comme dirait l’autre et sûrement Munier si on lui avait donné l’occasion d’en placer une : « la nature s’en fout ». Oui, la nature se fout d’être belle, s’en fout des réflexions qu’elle peut inspirer sur la beauté, son rapport au sacré ou le sens de la vie. Le documentaire en opérant au ralenti éteint quelque peu (mais pas tout à fait) la tentation de l’anthropomorphisme et nous laisse, sur d’assez longues séquences, dans une observation stupide et muette de ce qui se passe, c’est-à-dire à peu près ce que ce spectacle qui n’en est pas un a de meilleur à offrir. Cela tombe assez bien car c’est aussi le parti pris (du silence, de la discrétion) qu’ont adopté Warren Ellis et Nick Cave convoqués pour illustrer la chose. Outre le fait qu’on a trouvé ce travail de commande bien supérieur à leur Carnage du début d’année, La Panthère des Neiges (la BO) est une illustration orchestrale dominée par les cordes qui prend le temps de caresser son sujet dans le sens du poil et fait concurrence aux sons d’un Clint Mansell. Oui, les animaux se prêtent bien à être incarnés par les cordes. Ils font pour ainsi dire le même son, discrets lorsqu’ils marchent dans la neige, caverneux lorsqu’ils brâment ou aboient. Cave & Ellis les manient avec beaucoup d’adresse, dramatiques mais pas trop sur l’emphatique Attaque des Loups à l’entame, légers et féminins sur l’Antilope ou laineux et balourds, jusqu’à la menace, sur le grave Les Yaks, d’assez loin la plus belle pièce du disque.

Car la BO est de toute évidence un disque sans les hommes. C’est un paradoxe mais on aurait presque aimé sur ce disque ne jamais entendre la voix de Nick Cave. Cela n’arrive que très peu sur les Cerfs, morceau tête de gondole, qui transforme la nature en religion et se trompe pour nous de sujet, ou, avec plus de légitimité, lorsque la Panthère se montre enfin. On est alors à la toute fin de l’histoire. La dernière plage est somptueuse et se suffisait à elle même : c’est le moment de la grande révélation, l’instant où la quête prend fin et où l’humain est constitué par son observation. Nick Cave chante du point de vue de la panthère avant de prendre corps en tant qu’humain, se positionnant avec sa voix souveraine de baryton au sein de la création. On aime beaucoup moins quand il fait les choeurs et la ramène sur les Ours, comme s’il fallait donner une solennité à des images qui auraient bien fait sans lui.

On aura ainsi le regret d’une bande originale qui, par moments, n’aura pas eu le courage ou l’intelligence de laisser parler les instruments. Warren Ellis et Nick Cave font à la panthère ce que Tesson fait parfois à Munier : surimposer au motif un sens qu’il n’a pas demandé. L’ensemble n’en reste pas moins doux, planant et suffisamment onctueux pour ne pas nous gâcher le plaisir de la contemplation. La Grotte est joliment écrit et on aime le refus du crescendo tape à l’oeil qui inonde Des affûts elliptiques d’une beauté pleine d’intelligence. Les meilleurs morceaux du disque sont complètement instrumentaux et purement illustratifs. On aime la répétition sans condition de Les Princes qui ne nous dit jamais ce qu’on doit penser ou même la délicatesse de la Neige Tombe où seule la respiration de Nick Cave vient habiter la plage, comme s’il avait compris de lui-même qu’il n’y avait rien de plus à dire.

La Panthère des Neiges s’écoute et se réécoute avec bonheur. On peut l’entendre sans voir le film et y trouver une source de sérénité inestimable. On peut l’utiliser également, après avoir vu/lu le livre/le documentaire, pour reconvoquer par association les images d’un plateau neigeux immaculé et déserté de toute pensée parasite. Ceux qui ont besoin d’évasion pourront faire ça. C’est déjà pas mal.

Tracklist
01. L’attaque des loups
02. Les Cerfs
03. Antilope
04. La Bête
05. Les Yaks
06. Des Affûts Elliptiques
07. Les Nomades
08. La Grotte
09. Les Princes
10. La Neige Tombe
11. Les Ours
12. Un être vous obsède
13. L’Apparition/ We Are Not Alone
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