Hildur Gudnadottir / Joker Original Soundtrack
[Water Tower Music]

6.8 Note de l'auteur
6.8

Hildur Gudnadottir - Joker Original SoundtrackJoker est un film aussi horripilant que réussi. C’est un film sec, sombre et réaliste qui désamorce pourtant, par son classicisme et son économie d’effets, une part de la folie supposée du Joker, le plus noble et terrifiant des adversaires du Batman. Le film de Todd Philips vaut paradoxalement plus pour la manière maniaque avec laquelle il se tient à son projet, à cette vision d’un personnage peu à peu accablé par le sort et qui déraille, qu’à une inspiration ou une vision véritablement originale. On a dit ce qu’il devait à Scorsese notamment mais pas souligné suffisamment qu’il en avait évacué presque tous les moments de poésie, de suspension ou de magie. Entre le personnage de la mère célibataire Sophie (l’amoureuse fantasmée de Fleck/Phoenix) et la grâce infinie de Betsy / Cybill Shepherd dans Taxi Driver, il y a un océan à combler qui dit bien sur quels plans différents se jouent les deux films.  Joker réserve peu de surprises et l’intention qui préside à l’interprétation de Joaquin Phoenix est finalement assez aisée à cerner, même si l’incarnation est suffisamment habitée pour que la performance soit impressionnante. Taxi Driver était plus habile à imposer des temps de suspension et des parenthèses poétiques.

La musique de film composée par la violoncelliste islandaise Hildur Gudnadottir a les qualités du film qu’elle illustre et n’est pas pour rien dans sa capacité à imposer sa vision monomaniaque du Joker. C’est une bande-son solide, inspirée et plombante qui souligne et surligne tout ce que dit Philipps par l’image, en en renforçant les effets. Disons-le franchement : ce que propose Hildur Gudnadottir n’est pas pour rien dans le succès du film. Son violoncelle est presque tout du long le meilleur allié du réalisateur et de son acteur vedette. La musique de Gudnadottir marche dans les pas de Fleck avec la même abnégation et la même cruauté insoutenable, la même détermination farouche et implacable que le sort s’acharne sur le clown défait.  La musique porte le Fatum qui est le véritable objet du film. Fleck est foutu dès le début et, comme un personnage de tragédie grecque, n’est qu’un pantin qu’on sort du placard pour montrer comment la vie, la société, les inégalités, le capitalisme, la maladie, la mort peuvent, quand elles le veulent, se cumuler pour engendrer une monstruosité, normale. La compositrice avait déjà brillé sur la bande son de la série Tchernobyl. Elle récidive dans un registre assez proche, sobre et solennel. Defeated Clown en est un exemple emblématique. Le violoncelle prend toute la place, accompagné seulement d’une grosse caisse à l’arrière-plan qui incarne justement ces forces du destin qui menacent et fondront bientôt sur Fleck. La musique de Gudnadottir ne laisse aucune place au bonheur et à la respiration, aucune espèce d’espoir et c’est évidemment ce qu’on peut lui reprocher. Il y avait chez Bernard Hermann pour Taxi Driver de splendides respirations et de délicieuses envolées qui, ici, n’ont pas droit de cité.

C’est noirceur à tous les étages. Lorsque Fleck suit Sophie au début (Following Sophie), la musique est honteusement dramatique alors qu’elle aurait pu être joyeuse et plus lumineuse. L’Islandaise ne nous épargne rien et a pour seul objectif de nous maintenir la tête sous l’eau. La partition est une succession de thèmes cafardeux et d’aplats tristes de violoncelles qui fonctionnent parfaitement dans le registre illustratif du film et produisent sur disque un effet anxiogène et déprimant puissant. Il n’y a guère que les quelques deux minutes de Young Penny qui nous offrent un peu de réconfort. Le personnage de la mère est évidemment la clé du bonheur perdu. C’est sa faillite qui est la source de tout. Il n’y a plus rien ensuite. L’Islandaise sonne comme une Zimmer minimaliste et classe sur Meeting Bruce Wayne, conjuguant prise d’amplitude et retenue avec beaucoup d’à-propos. Elle est aussi brillante sur le thème en apesanteur de Bathroom Dance, scène fameuse et torturée qui scelle pour ainsi dire le sort du personnage. L’arrangement des cordes est splendide et ce thème restera à n’en pas douter comme l’un des plus forts (même si fugaces) du film.

Pour le reste, on reprochera à Hildur Gudnadottir de travailler principalement et presque toujours « dans le sens de l’image ». Elle le fait plutôt bien mais c’est une limite qu’on a toujours trouvée rédhibitoire pour qualifier une bande son de chef d’œuvre. La sienne fonctionne à merveille mais n’attrape qu’à de trop rares moments son autonomie et une vie propre. On aurait aimé plus d’audace, de vivacité et de prise de distance. Il n’en reste pas moins qu’il y a une élégance, une tristesse et une mélancolie qui agissent dans ce disque qui sont très difficiles à soutenir. Call Me Joker qui boucle la boucle en une séquence de cinq petites minutes est une pièce magnifique et admirable. Il n’y a pas de raison au final qu’une compositrice ne fasse pas aussi bien (et donc aussi mal) que le film qui l’inspire.

Tracklist
01. Hoyt’s Office
02. Defeated Clown
03. Following Sophie
04. Penny In The Hospital
05. Young Penny
06. Meeting Bruce Wayne
07. Hiding In The Fridge
08. A Bad Comedian
09. Arthur Comes To Sophie
10. Looking For Answers
11. Penny Taken To The Hospital
12. Subway
13. Bathroom Dance
14. Learning How To Act Normal
15. Confession
16. Escape From The Train
18. Call Me Joker
Écouter Hildur Gudnadottir - Joker Original Soundtrack

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