Cela nous coûte un bras de le dire et de l’écrire mais il nous a fallu au moins 3 ou 4 reprises pour écouter ces 16 morceaux (bon sang!) dans la continuité sans décrocher. Il se produit en effet un étrange phénomène à l’écoute de cet album en entier et dans l’ordre : on diverge, on s’évade, on roupille pour finir par ne plus distinguer les morceaux les uns les autres et, au final, ne plus vraiment prêter attention à ce qu’on fait. Ce n’est évidemment pas une façon détournée de dire du bien du nouvel album de Johnny Marr, demi-héros personnel depuis qu’il livra entre 1982 et 1986, quelques dizaines de chansons qui devaient nous marquer à vie. On ne va pas remuer tout ça mais en réécoutant (presque par hasard et habitude) quelques albums solo de son ancien colocataire Morrissey (Low in High School et I Am Not A Dog On A Chain) ces derniers jours, la chose nous est apparue au grand jour : contre l’évidence, entre Morrissey et Marr, le plus conservateur artistiquement n’est probablement pas celui qu’on croit. Cela fait dix ans désormais que Morrissey fait à peu près n’importe quoi, innove et tente des choses qu’il n’avait jamais tentées (I Bury The Living démente, ou encore Love Is On Its Way Out… curieuse). On ne sait pas trop s’il y est forcé, faute de disposer de compositions traditionnelles assez fortes mais on en est venu à la conclusion que son approche du chant (et notamment sa manie de placer les refrains sur les couplets) était peut-être bel et bien à l’origine de cette étrange sensation laissée par les morceaux qu’il travaille de sortir de l’ordinaire ou de diverger du tout venant indie rock. Si l’on ajoute à cela, sa capacité à faire sensation dans ses textes (jeux de rôles, prises de position politique, etc), l’écoute de cet interminable Fever Dreams Pt 1-4, issu du collage partiel de EPs déjà mis en circulation, révèle assez vite tout son sens : Johnny Marr fait figure d’élève appliqué, doué à la guitare, mais qui n’enchante pas, faute de direction suffisante et qui, en tant que chanteur, n’a à peu près rien à dire et pas non plus de choses singulières à faire valoir dans ses livraisons.
On avance cela, avant même (on met une pièce là-dessus) que Morrissey se disqualifie demain… en twittant un mot gentil à l’attention de Vladimir Poutine ! Mais s’il faut choisir son camp (ce que personne ne nous demande), il est clair qu’on abandonnera Johnny Marr sur le champ. Autant on avait trouvé Call The Comet et son récit d’anticipation plutôt curieux et digne d’intérêt, autant celui-ci est incroyablement barbant, bavard, prévisible et conforme au cahier des charges qu’il s’est (sûrement) donné. On ne peut plus supporter trois écoutes d’un titre comme Spirit Power and Soul à l’ouverture. C’est sonore, affreux, progressif et ça nous rappelle un tribute band débile de Cast ou de Hurricane #1 (ou vous laisse y retourner si vous ne vous souvenez plus de ces groupes).
Johnny Marr chante comme s’il nous faisait la lecture d’un manuel de développement personnel. Sa position du lotus sur la couverture de l’album ne trompe pas : toute cette affaire là doit nous donner du punch, nous réveiller et nous donner l’idée de devenir meilleurs. Receiver fait partie des titres qu’on utiliserait pour apprendre à jouer de la guitare électrique comme un dieu ou pour tenter de se convaincre que Be Here Now, le troisième album de Oasis, n’était pas si mauvais. On ne voudrait pas donner le sentiment d’accabler le guitariste. Il y a des titres qui sont ici plutôt cools et convaincants, voire qui sont bien écrits et chantés. C’est le cas du chouette, laidback et cold wave All These Days (qui ressemble à du Bauhaus pour les gosses), ou plus loin du progressif et entraînant Tenement Time qui nous donne presque envie de réécouter du power rock et l’intégrale de Statu Quo. Si Johnny Marr a décidé de se la jouer punchy et de lâcher les chevaux, on a quand même l’impression (sûrement fausse) que les parties de guitares bien qu’inspirées et élégantes, sont écrites au kilomètre par un atelier indien. Le problème est qu’elles se déploient vainement sans rencontrer d’autre opposition ou résistance qu’elles-mêmes. On ne peut pas critiquer l’allure d’un titre tel que Speed of Love par exemple mais il suffit d’isoler un couplet tel que celui-ci :
The things you do
I just imagine
Don’t seem true
And I see true
Let me drown
In a sea of madness
Send your mind
I’ll read it now
… pour réaliser que la chanson ne sert absolument à rien et n’a d’autre finalité que d’occuper l’espace. Sea of madness…. L’émotion est absente et le propos inept. Sur Counter Clock World, Marr bousille un riff génial (l’entame est à tomber) et un développement passionnant en chantant comme un pied. C’est quand même un énorme gâchis qui se reproduit de pièce en pièce. God’s Gift souffre du même syndrome : c’est une belle mélodie, élégante, puissante et pleine de promesses mais dont le chanteur ne fera strictement rien pour la dévier de sa route mainstream. Le morceau file à toute berzingue se précipiter dans l’oubli comme un vulgaire exercice de shred. Les filtres sur la voix nous insupportent et nous rendent la chose difficilement supportable par la suite, occultant les vraies qualités de certains morceaux comme le fougueux The Whirl (plutôt sympa) et l’intriguant Ghoster qui nous rappelle les années Electronic.
On ne va pas faire semblant de balancer notre jugement pour sauver les meubles. Cet album nous ramène non seulement en arrière mais surtout vers des territoires qui ne nous disaient déjà rien à l’époque : l’âge des guitar-heroes et des riffs qui pendent dans le vide ou qui se regardent dans la glace pour vérifier qu’ils assurent comme des bêtes. Marr ne fait pas plus de musculation qu’il ne se masturbe en public : c’est juste qu’il agace à force de n’avoir d’idées sur rien.
When you wanna go home
And you need to turn back
Turn it all around
Turn everything around
Just understand
Like a child
All the pictures
In your mind
Don’t explain
Don’t let the good slip away
Don’t let the good slip away
Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse de ça ? D’aucuns trouveront Rubicon valable mais on peut aussi trouver que c’est une chanson idiote. Fever Dreams ne fait pas plus rêver qu’il ne donne la fièvre. C’est une purge qu’on s’est promis de ne pas réécouter avant d’être certain d’être devenu immortel. Si vous aimez les Smiths, épargnez-vous ce truc.