Lucy Gooch / Desert Window
[Fire Records]

8 Note de l'auteur
8

Lucy Gooch - Desert WindowPar quelques chroniques ici et là nous ayant fait arpenter la folktronica, nous sommes tentés d’annoncer une belle nouvelle : une nouvelle vague s’annonce, et sa crête se conjugue au féminin. Après le superbe album de Jenny Hval, le dernier de Beth Orton, voire même (plus électro que folk, d’ailleurs) Julia-Sophie, c’est avec une anglaise comme Lucy Gooch que cet agréable renouveau se perpétue, laissant à ses artistes une liberté dans une hybridation des plus agréables. C’est comme si cette musique s’ornait d’un sentiment féminin porté ici au plus haut de sa forme : un certificat de désarroi face à un monde en charpie.

En chênes et en os

L’approche d’une jeune pousse artistique constitue toujours un gain de temps pour comprendre son terreau et constater les premiers virages, si ce début de carrière présente suffisamment de recul. De suite, on est frappé par le décorum de pur cinéma que déploie cette musique. Alors que la folk s’écoute avec le cœur, Desert Window se regarde aussi avec les oreilles. Les compositions de Vangelis nous reviennent, à l’écoute du diptyque Night Window, démontrant ainsi l’emphase mise sur l’électronique. La nuit s’ouvre sur la vastitude d’un futur de mystères, et, au son de flûtes byzantines et d’un bouquet de voix, c’est tout le petit peuple secret d’Avalon, miniature et sibilant, qui s’anime derrière le frémissement de l’hêtre. Les légendes du vieux continent ont encore des rêves à nous conter. C’est tout comme si le bucolisme des paysages était rapporté à notre monde d’angoisses (extérieures comme intimes) ; comme si nous contaminions la nature de notre psyché meurtrie. Sous nos pieds, une guerre à feu doux a lieu ; et avec Jack Hare, c’est au George Fenton du film Company of the Wolves (1984) auquel on pense. Pour son premier album, Gooch envoie une volée de bois vert.

C’est dans cette végétation et ses tiraillements féminins, cet imbroglio de pensées dans lequel on plonge, noueux (“To wake up in morning, too long asleep / Like clay in the ground, exiled deep.”). Là encore, on pense à Kate Bush et à Elizabeth Fraser. À Kelela aussi, parfois. Ici, l’ambient, la bedroom pop et la folk font ménage à trois. Évidemment, Desert Window souffre de la comparaison avec le Iris Silver Mist de Hval, mais il est étonnant de constater que les deux artistes partagent cette même liberté expérimentale dans l’occupation des pistes. Les morceaux s’étirent longuement, s’arrêtent parfois à mi-chemin pour se réveiller un peu plus tard ; se chevauchent ou mutent, parfois. Ils nous baladent sans nous perdre. On s’attristera néanmoins d’un relatif manque de diversité, les climats étant plutôt automnaux et venteux, diurnes et hantés.

La promesse du soir

On a l’impression que Lucy Gooch conçoit sa voix comme un élément instrumental parmi d’autres ; important, mais non prépondérant. C’est en soi une approche ayant du sens. Mais ceci n’est pas sans s’accompagner de quelques manquements qui auraient pu, d’ailleurs, ne pas être. Alors que Jenny Hval arrivait toujours à épingler sensations du dehors et intimité du dedans, on a l’impression que Gooch n’arrive pas toujours à les intriquer, aboutissant à une écriture éparpillée, morcelée, très fille de l’air ; sensation de perte de et en soi absolument bienvenue ici, mais ne se suffisant à elle-même. Gooch aurait pu s’arranger aussi des moments de pure terrestréité, plutôt que de privilégier la dérobade du feu follet. Ceci explique probablement une écriture qu’on aurait aimé aussi un peu plus épaisse. L’omniprésence de la nature est également, quand on y pense, assez attendue (et entendue). Heureusement, on ne s’en lasse pas, de cette belle qui se donne aux yeux de tous, imperturbable. La trompette sur Clouds est superbe ; elle nous vient du fonds des âges, porte en elle un message : l’inéluctabilité poétique des choses. On avance dans la nuit blanche, se laissant cueillir par nos pensées.

Le retour à la terre s’annonce, après l’écorce de chair… La terre est meuble, brune comme le café ; on voudrait la goûter. Mais le vent interrompt le rêve ; on émerge, atterrit sur l’enclos de nos vies – on ouvre nos iris : “Où ils ont fait un désert, ils disent qu’ils ont fait la paix.” Suffisamment Tacite ; à méditer… Desert Window est donc un album solide et élégant, augurant du meilleur pour cette chanteuse à suivre.

Tracklist
01. Like Clay
02. Night Window (Part One)
03. Night Window (Part Two)
04. Keep Pulling Me In
05. Jack Hare
06. Clouds
07. Our Relativity
08. Desert Window
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