Comme souvent avec Anders Trentemøller le programme s’annonce copieux. Voire roboratif, car à l’heure du zapping compulsif généralisé, plus grand monde ne trouve ou ne prend le temps de s’enfiler d’une traite un album de 14 chansons dépassant pour la plupart allégrement les 5 minutes, jouant sur toutes les nuances d’une même palette chromatique.
Le Danois est coutumier du fait : si son précédent album Observe paru en 2019 s’en tenait à « seulement » 10 chansons, celles-ci dérivaient en longueur, s’exonérant du formatage pop entendu sur certaines plages de Fixion (2016). Aujourd’hui, il profite pleinement de sa position de franc-tireur sur la carte des musiques actuelles et de la liberté totale que lui permet sa propre structure In My Room via laquelle il réalise toutes ses productions.
Memoria se présente ainsi comme une odyssée au long cours, aux confins des aspirations musicales qui l’animent depuis ses débuts en 2006, quand il a commencé à produire ses propres compositions, en parallèle de ses activités de DJ et de producteur émérites.
Ce sixième album s’ouvre avec Veil Of White sur des rivages shoegaze complétement embrumés sous le haut patronage de Slowdive qu’on recroisera plusieurs fois en hautes eaux. De la torpeur, s’extraie une mélodie lumineuse. Alors que le trait de côte s’efface progressivement grâce à une brise légère qui pousse son embarcation au large, Trentemøller louvoie, traversant des zones de doldrums électroniques entre deux bourrasques plus sombres, secondé par la seule Lisbet Fritze au chant (ce qui confère une homogénéité que n’avait pas ses précédents albums sur lesquels collaboraient plusieurs chanteuses). Parfois ça tape un peu plus fort dans les basses (Glow), l’ambiance peut se faire plus oppressante, voire bruitiste (The Rise), compulsive et orageuse (When The Sun Explodes), ou tout au contraire, une mélodie radieuse s’entortille autour d’un gimmick de guitare (In The Gloaming). On fait même une escale à Twin Peaks (A Summer’s Empty Room). En quelques encablures, on se retrouve bien loin du point de départ, et selon les humeurs, on se délecte de tel ou tel morceau, en se convaincant qu’il s’agit du meilleur morceau de l’album avant de jeter notre dévolu sur un autre. Aussi, on ne sait plus si on doit saluer les qualités de soundmaker du Danois ou celle de songwriter. Mais oublions la pression de cette société qui nous imposerait d’avoir un avis sur tout, pour mieux se délecter de cet exercice de mémoire qui constitue probablement son album le plus abouti à ce jour.