[Soup Music #5] – Jul / C’est pas des LOL
[D’or et de platine]

4 Note de l'auteur
4

Jul - C’est pas des LOLLe rap français est un écosystème complexe. Au sommet de la pyramide alimentaire, il y a Jul, son accent, son côté boy next door et son flow essoufflé et toujours à la limite de la sortie de route. Le Marseillais a sorti en décembre son douzième album studio en à peine cinq ans d’activité, ce qui, en termes de productivité, représente un véritable exploit. Le mec est un bosseur ou/et il aime la musique : il n’y a pas de secret. Son précédent album, Rien 100 Rien, est sorti il y a six mois. C’est pas des LOL, le nouveau compte pas moins de 38 plages et s’apparente à une réussite formidable.

Jul démarre en mode « conversation libre » sur 6.35, le meilleur titre du disque. Il y a sans doute une part d’impro là-dedans, bien qu’on ne mesure pas à quel point. Son flow est techniquement médiocre mais il y a une sincérité, une ambition forcenée et une certaine qualité d’écriture qui se dégagent de l’entame, une pièce de plus de six minutes montée sur un beat quasi trip-hop, relax et élégant. « Tu veux m’atteindre, faut m’éteindre…. Gentil c’est pas un métier. Dire qu’avant je rêvais d’rouler en audi TT, maintenant je peux prendre des Féfé avec la teuteu. Sans faire le mec bien sûr.» S’en suit un plaidoyer plutôt convaincant sur la simplicité que Jul a conservé et l’intégrité de sa démarche. Le bonhomme se pose en type nature, animé par la passion, et qui a gagné sa place au mérite. Aux envieux, il oppose une brutalité « naturelle » à base de hi-kicks dans la gueule et de beignes sympathiques. L’impression est étrange : il n’y a pas chez Jul l’agressivité et le côté « tout en muscles » des rappeurs parisiens, mais on sent une menace dans sa voix comme si le gars qui avait l’habitude d’en prendre plein la gueule au lycée et qu’on considérait vraiment comme un détraqué, avait pris le pouvoir sur un malentendu et savourait sa revanche. Même au top de son game, il y a chez Jul l’humilité des réprouvés, des mecs qui ont ramé pour en arriver là et qui sont prêts à défendre leur place par tous les moyens.

Jul Princesse du peuple

6.35 est un vrai morceau et il n’est pas tout seul. Jul signe, parmi ces deux heures de musique (bon sang), des chansons qui tiennent la route, à l’image du chouette Je mets le Way qui bénéficie du featuring de Gambi, le jeune MC qui monte qui monte. Le flow du Marseillais est laborieux mais rapide. Les productions alternent la trap music, des machins dansants que le chanteur mélange avec des tracks plus old school consacrées à une description assez précise et plutôt réaliste de la réalité sociale. Jul écrit toujours à hauteur d’hommes, sans en rajouter. Sa poésie est sèche, pas dénuée de belles formules et ne cède jamais à l’exagération. Les thèmes sont convenus : la drogue, le business, le rap, les voitures. L’originalité est proche de zéro avec juste quelques punchlines sympas pour relever la sauce. « Je veux qu’on se rappelle de moi comme CR7 à Manchester. » Mais il y a ici un sens du détail et une volonté de dire EXACTEMENT ce qui se passe qui sont louables et dégagent un portrait plutôt balancé et complexe d’une jeunesse qui vit sur la corde raide (le génial La Doudoune). « Je t’aime quand je vois tes yeux comme Danny Brilliant. Et où est-ce qu’on va ? Qu’est-ce qu’on fait ? Sa mise en FIFA. Sa paire ça se refait. » On sent sur l’impeccable Ca Tombe Du Ciel le mélange de regrets et de rêves qui animent une existence sur le qui-vive où les vies rêvées tombent les unes après les autres. Jul dit la diversité, les alliances de circonstances, la violence et la grande internationale de la débrouille. « Y’a que des niqués », dit-il avant d’énumérer les villes de banlieue du pays. Sur ces titres, Jul est plus pertinent qu’Orelsan, plus populaire, moins classe moyenne, un mélange entre Ribéry et Lady Di, princesse du peuple.

A côté de ces grands morceaux (qui rassemblés auraient formé un album de rap français assez phénoménal), il faut se farcir ce pour quoi le jeune homme est connu et unanimement détesté des mélomanes : des trucs trafiqués et festifs qui terrifient littéralement ou des bouses surfiltrées et chantées via un autotune défiguré (Tant pis pour toi), des chansons de love atroces aussi. Santchelita, une sorte de chanson d’amour, est risible au point d’en être drôle. Fréquenter ressemble à du Kendji Girac. Jul n’exerce qu’un contrôle qualité minimal sur ses productions. Des titres qui n’ont pas leur place sur le disque y sont, réduisant ses efforts à pas grand-chose. Pow Wow et Emmenez-moi sont des purges. T’es un gonflé en est un autre exemple ambigu : tellement bas-frontal qu’il en devient, à sa manière, génial et étincelant . « J’t’aime bien, mais va te faire enculer. Au début t’étais sympa. J’t’aime bien mais j’t’aime pas. Va te faire enculer. Va te faire enculer» Il faut être sacrément sûr de soi ou inconscient pour tenter un truc aussi bête et radical mais difficile de faire plus punk. Rien que pour son titre, on salue le bonhomme bien bas. Il faut être prêt au grand écart. Le combat est habile. Les références prolétariennes hip-hop sont là avec Rocky ou Eminem. « Je frappe le sac. Je taffe comme une bête. » A aucun moment, Jul ne prétend faire preuve de facilité ou s’honorer d’un don. Son message est une aubaine pour la jeunesse : si lui y arrive, tout le monde peut s’en sortir. Jul est un héros social, un modèle en trompe l’œil qui, par sa médiocrité sublimée, sa normalité romancée, dégage une éthique tout à fait compatible avec la vie en société.

D’homme à homme

J’ai passé l’âge ressemble à du Brassens ou à du Stromaé (ce qui revient au même). Le titre est entamé à la guitare acoustique et se développe dans l’émotion et la tristesse. « J’fume la moula et à force de rouler, j’ai tous les doigts collés. J’en ai marre de voir tous ces bâtards qui disent t’es mon frère. Et puis après il y a plus dégun. Moi je suis là. Je suis en survêt là. » Jul se tient à distance de tout engagement. Son registre est purement descriptif et sa vision du monde ne dépasse jamais les limites du pâté de maison. Sur Y a la police, la représentation des violences policières est limitée et sans intelligence. C’est la limite du bonhomme : expert pour décrire mais qui est à des années-lumière des revendications des rappeurs historiques tels que NTM ou IAM, et donc dans l’incapacité totale de porter un regard critique sur son environnement ou d’apporter un quelconque danger social. Le hip-hop de Jul est autocentré et pittoresque; sa violence envisagée seulement d’homme à homme comme dans un film de gangsters et de castagneurs bas du front, pour défendre son honneur ou corriger un regard de travers. Son manque de vision transparaît sur un Cassage de Nuques part 3, confus et sans finalité claire.

L’effet d’accumulation rend l’écoute en séquence des 38 plages quasi impossible, voire inhumaine et dangereuse. La seule manière de prendre l’album est donc de picorer et de progresser par série de 3 à 5 titres selon sa résistance ou de ne garder que la dizaine de chansons qui valent le coup. Il n’y a que dans ce cadre qu’on peut avancer sans risque majeur et évaluer justement les qualités morales et musicales de l’objet. Jul n’est clairement pas le pire du pire, contrairement à ce qu’on pensait. A force de le fréquenter, on en viendrait presque à reprendre avec lui le thème d’Ibiza et à bouger du boule au son d’un saxo improbable.

Il ne faut jamais avoir peur de son temps mais l’éviter d’assez près, pour sentir le vent du boulet, ne fait pas de mal. Jul est grand, à sa manière.

Tracklist
01. 35
02. Ibiza
03. Mexico
04. Mon bébé d’amour
05. Oh Maman
06. Cremosso
07. Faut que je me tire de là
08. Dans le club
09. Bouge-moi de là
10. Ça Tombe pas du ciel
11. Santchelita
12. Tant pis pour Toi
13. Pow Pow
14. Y’a la police
15. Fréquenter
16. Un Casse
17. Ça mange la barre
18. C’est pas des LOL
19. Cassage de nuques, part 3
20. Collé au mic
21. Au péage
22. La doudoune
23. Beuh magique
24. Flu
25. Crocodile
26. J’m’en bats les couilles
27. Nia
28. Ça a tiré
29. Je mets le way
30. T’es un gonflé
31. Le combat
32. J’ai passé l’âge
33. Emmenez-moi
34. Cartel de platine
35. Tout seul
36. Kish Kush Kash
37. Touloutoutou
38. Ibiza (edit)
Ecouter Jul - C’est pas des LOL

Liens
Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

More from Benjamin Berton
Thierry Jourdain / R.E.M. – Remember Every Moment
[Editions Le Boulon]
On attendait avec beaucoup de curiosité cette première biographie française des Américains...
Lire la suite
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *